Dix-sept secondes hors du ring
Martin Kohan

Seuil
cadre vert
février 2007
249 p.  21,30 €
 
 
 
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coup de coeur

Coup d’arrêt.

« Dix-sept secondes hors du ring » est le premier roman traduit en français de l’écrivain argentin contemporain Martin Kohan. Partant d’un fait divers sportif authentique, il compose une symphonie romanesque passionnante à la forme aussi étonnante que maîtrisée.

En 1973, le journal local de Trelew, au sud de l’Argentine, s’apprête à sortir un numéro spécial pour son cinquantième anniversaire, composé d’articles qui ont fait sa une en septembre 1923. Le 14 septembre de cette année-là, un match de boxe se tenait à New York, qui opposa Jack Dempsey, le champion du monde en titre des poids lourds, à l’Argentin Luis Angel Firpo. C’est le journaliste sportif Verani qui s’occupe de compiler les articles sur ce combat inoubliable, tandis que son confrère Ledesma se charge de la rubrique culturelle, l’autre fait marquant de ce mois de septembre 1923 ayant été le concert exceptionnel donné à Buenos Aires sous la direction de Richard Strauss, qui exécuta pour la première fois la Symphonie n°1 de Mahler. Roque, alors jeune archiviste, assiste aux débats passionnés entre Verani et Ledesma qui se disputent chacun la suprématie de l’événement qu’ils couvrent pour ce jubilaire. Par ailleurs, un entrefilet révélant la mort suspecte d’un inconnu dans un hôtel de la capitale ce même soir de 1923 attise la curiosité des journalistes qui rouvrent l’affaire et se lancent dans une véritable enquête policière qui se poursuivra jusqu’en 1990. Si le match de boxe est resté dans toutes les mémoires, c’est parce que ce soir-là, le challenger a envoyé son adversaire hors du ring : dix-sept secondes de suspens qui auraient dû valoir un triomphe à l’Argentin si tout s’était déroulé selon les règles. Au même moment, à Buenos Aires, on retient son souffle car on croit la victoire acquise, mais Dempsey réussit à remonter sur le ring et à battre son rival par K.-O. A la façon d’un ralenti cinématographique, cette chute est étirée pendant tout le roman, jusqu’à la nanoseconde, permettant le récit simultané des coulisses trépidantes de la légende. Ainsi, en dix-sept secondes, un champion joue sa carrière, un challenger prend sa place, puis la perd, un photographe novice voit sa vie défiler et manque de périr asphyxié par le corps du boxeur qui lui tombe dessus, tandis que la concentration de l’arbitre est mise à mal par ses déboires amoureux. Dans les paragraphes qui sont autant d’arrêts sur images, les points de vue et les protagonistes alternent, et des myriades d’informations apparaissent, qui, réunies par le hasard, ont décidé du dénouement.

Martin Kohan réussit le tour de force d’introduire du suspens dans une issue déjà connue. En relatant avec l’art et la manière les à-côtés de l’exceptionnel que le journalisme, genre de l’éphémère, ne peut restituer, le roman permet le prolongement de l’événement à l’infini dans lequel se jouent des passions humaines multiples. Enfin, à travers le jeu de concentration temporelle, sont posées des questions essentielles et toujours actuelles comme la hiérarchisation de l’information et la définition de la culture, qui n’échappe ni aux rivalités, ni à l’ambition.

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