Benjamin Benjamin avait tout pour mener une vie tranquille. Une femme aimée, aimante, deux enfants superbes, suffisamment d’occupation pour ne pas s’ennuyer. Et puis la vie lui tendit un drame comme d’autres allongent un confinement. Une horreur d’accident, le destin qui s’écrase et une existence soudain totalement fracassée.
Benjamin Benjamin devient un éclopé éclopé, un être paumé paumé qui pour maintenir la tête de l’eau va s’orienter vers l’aide à la personne. Il apprend, se forme plus ou moins et se trouve finalement à s’occuper de Trev, grand accidenté de la maladie, cloué sur un fauteuil, archi dépendant. Les deux victimes se reniflent, s’apprivoisent, se confrontent et choisissent finalement d’essayer ensemble de s’en sortir, d’une façon ou d’une autre. Ils ramasseront au cours de leur périple une poignée de largués de toutes amarres, et visiteront leur pays immense et contrasté avec l’enthousiasme de ceux qui n’ont plus grand chose à perdre, tout à gagner.
Ce roman que n’aurait pas rejeté Wes Anderson sans doute, une bonne idée de la même odeur que certains de ses films aux héros cabossés et croquignolesques, loufoques et tendres, bancals mais vrais, ce roman donc, fort bien réalisé, tourné comme il faut, de virages pathétiques en tournants émouvants, drôle et jamais caricatural, se dévore, s’avale s’engloutit comme on digère sans s’apercevoir qu’on l’a même avalé un repas subtil, simple mais aussi plus complexe qu’il n’y paraît.
La trame, évidemment, n’est pas nouvelle, pas tombée d’une inspiration délirante, mais justement sur ce canevas un poil éculé construire une telle réussite littéraire permet à Jonathan Evison de se rapprocher par moment d’un John Fante, d’un Frederic Exley aussi, ce dernier également auteur de la maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture dont on ne saurait cesser de saluer l’importance. Parce que, en plus, comme d’habitude chez Toussaint, le livre est beau, la couverture « frappée plusieurs fois, histoire que son coeur reparte »…Les livres de Toussaint sont beaux jusqu’à l’étiquette. Et le roman de Jonathan Evison se déguste presque d’une traite, c’en est presque dommage, on aurait bien prolongé le voyage, surtout qu’en ce moment, on a du temps devant nous.