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coup de coeur
Une superbe exploration des sentiments
Comment être à la hauteur de la beauté de ce livre ? Inutile d’essayer, je ne le serai pas. C’est juste dingue de se dire qu’il s’agit d’un premier roman, écrit par une jeune femme qui semble percevoir déjà tellement de choses de la vie, de l’âme humaine, de la façon dont la mémoire se constitue puis se disperse. Emily Ruskovich fait non seulement preuve d’une parfaite maîtrise narrative mais déploie une écriture élégante, poétique, imagée (énorme bravo au traducteur, Simon Baril), musicale… Une écriture qui vous porte, ancre les mots en vous, les sons, les odeurs et surtout les sensations, les frémissements. Superbe. « Tout cet amour, tous ces sentiments, toute cette peine, accrochés à rien, à un chaos redoutable, insaisissable. La future perte de son esprit devient le nouveau fondement de sa vie ; il ressent déjà la perte des choses qu’il aime et se rend compte qu’il cherche un moyen, n’importe lequel, de les retenir ». Wade perd la mémoire, atteint par la même forme de dégénérescence que son père et son grand-père avant lui ; et quelque part dans sa mémoire, il y a sa vie d’avant. Avant Ann, sa femme depuis huit ans, un an après le drame. Car Wade a tout perdu lors d’une belle journée d’été de 1995 lors d’une banale excursion sur un versant de la montagne pour chercher du bois. June et May ses deux fillettes et Jenny, sa femme. Depuis, Ann est entrée dans sa vie et veille sur lui avec amour, à la fois bouleversée et intriguée par cette journée dont Wade ne parle pas. Dans la mémoire de Wade qui s’en va, il y a le souvenir de cette journée dont Ann tente de reconstituer les éléments déclencheurs. Ann est à la recherche des sensations de Jenny et des fillettes, pour perpétuer le souvenir en quelque sorte. « Elle a pris le passé de Wade et l’a étalé devant elle, faisant de son propre avenir un retour en arrière, alors même que ce passé disparaît. Ce lent effacement, cette ligne blanche traversant l’obscurité de la mémoire de Wade, voilà ce qu’Ann suivra toute sa vie durant. Et, à n’en pas douter, cela la mènera jusqu’aux portes de sa prison secrète ». Ce qui marque durablement dans ce roman, c’est la puissance d’évocation des mécanismes qui mènent au souvenir. La façon dont une odeur ou quelques notes de musique vont définitivement être reliées à un instant. Une évocation d’autant plus forte qu’elle se fait ici en symbiose parfaite avec la nature, celle de la région qui donne son titre au roman et qu’elle bénéficie de la sensibilité musicale incarnée par Ann, professeur de piano. Ce qui nous vaut des pages magnifiques quand Ann « joue » au piano les souvenirs imaginés qu’elle s’est construits par amour pour Wade. « Le sens c’est comme la musique : ça accroche, ça dérive. Ça part, ça revient. Les refrains, les phrases, les noms des bateaux qui passent. Ça me trotte dans la tête, ça me trotte dans la tête. La façon dont les histoires s’attachent à des mots, dont les mots s’attachent à des rythmes vulnérables, à des mélodies impressionnables. Ann s’y connaît en archéologie de musique colportée. La musique s’accroche comme la peur, comme l’amour. » Que l’on ne s’y trompe pas, ce livre est également et surtout, une merveilleuse histoire d’amour, poignante dans sa singularité, touchante dans ses multiples dimensions. L’amour est dans la mémoire, visuelle, olfactive, tactile. Mais aussi ancré dans la réalité, brutale, cruelle mais ouverte sur l’avenir. « Quand on aime quelqu’un qui est mort, et que sa mort disparaît parce qu’on ne peut plus s’en souvenir, il ne vous reste que la douleur d’un amour non partagé ». Un tel livre ne se raconte pas, il se vit. Il se ressent. Car il est constitué de vibrations qui sont autant de pulsions de vie. Et les mots d’Emily Ruskovich servent également à montrer que tout ne s’exprime pas avec des mots. Même si j’ai envie d’en utiliser quelques-uns pour vous inciter à lire ce sublime roman. Une merveille. Retrouvez Nicole G sur son blog |
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