Des boules de poils intelligentes qui n’ont qu’une seule occupation, jouer et s’amuser, envahissent petit à petit la Terre. Billy Morton et sa famille, Carlita, sa femme, et Jimmy et Lucas, ses enfants, adoptent, autant qu’ils sont adoptés, un PP, le surnom d’un de ces aliens. Ils seront aussi connus sous le nom de protéens, en référence certainement à leur nature protéiforme.
Le seul petit problème c’est que si une frange non négligeable de la population voit d’un bon œil cette recrudescence de tendances joueuses, celles-ci se font au dépend des gouvernements, des entreprises, des trusts, des riches qui se voient pillés de leur source de pouvoir : l’argent et l’information. Car les PP, et Louie (le PP adopté par Morton) au premier chef, jouent en contournant le système, jouent contre le système.
A travers les PP, Luke Rhinehart livre un des livres les plus drôles ET les lus subversifs qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années. Car l’auteur s’amuse autant que les PP (et donc autant que le lecteur) à écrire (ou jouer ou lire) contre le système n’épargnant personne et surtout pas les américains et les Etats-Unis.
Mais cette charge contre le système, opérée par les PP, étant de nature à mettre en péril le dit système, ses fervents défenseurs vont tout mettre en œuvre pour contrecarrer les plans des PP, quand bien même, de leur propre aveu, les PP n’ont pas de buts autre que celui de s’amuser. Gagner ne fait pas partie de leurs préoccupations !
Luke Rhinehart ne choisit pas la famille d’accueil de Louie par hasard : ils sont dès le départ en marge de la société américaine « de base » que l’auteur descend en règle pour le plus grand bonheur du lecteur.
Le roman est écrit sous forme de recension de chapitres de livres écrits par Billy Morton ou par d’éminents experts (également cibles de railleries), de coupures de presse, de faits divers ou de rapports ou tracts édités par les Républicains (une autre excellente tranche de rigolade !).
Comme les preuves par le texte valent mieux que tous les discours, je vous livre pas mal d’extraits qui s’ils ne vous convainquent pas, me feront désespérer de votre libre-arbitre et de votre capacité à voir la réalité derrière les murs.
« Tu vois, les êtres qui ont besoin d’un but dans leur existence, qui ont besoin de simplement survivre, de trouver de la nourriture, un toit, d’être en sécurité, ce sont des êtres primitifs. Quand l’existence n’est plus menacée, les êtres peuvent développer une nouvelle façon de vivre : le jeu. Ils se mettent à faire des choses « juste pour rire ». […] Les enfants courent pour savoir qui va le plus vite, mais se fichent de savoir s’il y a un gagnant. Dès qu’un enfant veut gagner, alors il a un objectif, une ambition, et il cesse de jouer. Vous, les êtres humains, vous avez emprunté la mauvaise voie d’un point de vue évolutif, quand votre mode de vie principal est devenu l’ambition, et que vous avez commencé à considérer le jeu comme réservé aux enfants. »
« Il n’y a que ceux qui n’ont aucune opinion sur rien qui ne courent aucun risque. Si tu n’as jamais d’avis sur quoi que ce soit d’important alors tu peux baiser qui tu veux, visiter des sites pédophiles, tu peux refuser de payer l’impôt sur le revenu, tu peux extorquer de l’argent, payer des pots-de-vin, ce que tu veux. La seule chose qui compte, c’est de ne jamais donner son avis sur quoi que ce soit. Si tu ne dis rien, pour la NSA, tu es un citoyen d’une irréprochable probité, et tu peux faire ce qu’il te plait. »
« On joue votre jeu, avec les règles que vous avez mises en place, a dit Molière. Il n’y a rien de plus américain que le chantage et l’extorsion, ça fait partie de votre culture, comme les hamburgers. »
« Ah, Billy, il a dit, si tu savais le nombre de façons extraordinaires d’exister qu’il y a. […] Vous, par exemple, les humains, ce qui est intéressant avec vous, c’est que vous avez réussi à créer des ordinateurs hyper puissants, alors que vos cerveaux sont à peine plus perfectionnés que ceux des chimpanzés. […] Et votre univers est seulement le deuxième où on a trouvé des créatures ayant développé des armes capables d’anéantir presque toute vie sur leur planète, tout en ayant une intelligence tellement sous-développée qu’elles songent à utiliser ces armes. »
« Vous avez pris de l’argent à des gens et à des entreprises qui l’ont gagné, a dit Dave, et vous le donnez à des gens qui ne l’ont pas gagné, qui ne le méritent pas.
En fait, mon cher Dave, a dit Louie, nous prennpns l’argent dont des individus et des entreprises se sont emparés en profitant d’un système truqué en leur faveur, et nous le donnons à des individus qui ont perdu de l’argent parce que votre sysème est truqué. Vous parlez d’accorder des chances égales à tout le monde, mais en réalité la majorité des gens n’ont absolument aucune chance. »
« Notre nouvelle loi séparera les êtres humains en deux classes : les êtres humains traditionnels et les êtres humains non-mammifères. Ainsi, la loi interdira aux être humains non-mammifères d’utiliser des ordinateurs ou de posséder de l’argent, à moins d’avoir la permission expresse des Responsables de la Tutelle des Protéens. En outre, il leur sera interdit de sauter à une hauteur de plus de deux mètres, de se déplacer à plus de vingt-cinq kilomètres à l’heure, de rester sous l’eau plus de cinq minutes, de se verser de l’alcool sur le corps, etc., etc. Ce seront de véritables citoyens de seconde classe, comme les femmes et les esclaves autrefois. […] et, en gros, un policier peut se débarrasser de n’importe qui, quand il en a envie, grâce à ces lois. De tout temps, les nations se sont servies de la loi pour faire rentrer dans le rang ceux qu’elles considèrent comme des citoyens de seconde classe. »
« Réfléchissez un petit peu à cette réponse, si vous le voulez bien. « On n’avait pas envie ». Sans aucun doute, une des affirmations les plus révolutionnaires que l’on puisse jamais prononcer […] « Parce que je n’avais pas envie » […] « Parce que nous voulions nous amuser ». Si les êtres humains se mettaient à employer régulièrement ces deux phrases, ce serait la fin de toute civilisation. »
Extraits des « Faits Divers » disséminés dans le livre :
Définitions tirées du nouveau dictionnaire protéen :
Bétail humain : une façon assez peu flatteuse de considérer l’existence humaine. Et une insulte envers le bétail.
Entreprise : personne morale à qui les lois accordent tous les droits d’une personne physique, mais à laquelle elles n’imposent aucune obligation.
Médias : ensemble des moyens de transmission, tels que la télévision, la radio et la presse écrite. Leur fonction est de faire passer au public les questions et les attitudes que les gens au pouvoir veulent faire passer.
Moi : concept illusoire, d’orignie inconnue, qui tend à isoler radicalement les êtres humains du reste de l’existence.
Bulletin d’information télévisé : émission de télévision pendant laquelle de longues et très importantes plages de publicité sont interrompues brièvement par des discussions portant sur d’insignifiants faits divers.
Préjugés raciaux : l’attitude des humains appartenant à un groupe dominant envers ceux qu’ils dominent et oppriment.
Temps : concept humain fondé sur l’inaptitude à percevoir la vie au présent.
Systèmes moraux : efforts consentis par les êtres humains pour maîtriser le naturel.
Manifeste républicain :
Les six principes fondamentaux dévoilés par le parti Républicain :
1. De la guerre éternelle : Nous, les Républicains, savons que les peuples du monde entier nous détestent car ils nous envient notre liberté. Nous croyons par conséquent que notre Patrie Bien-aimée doit déclarer la guerre éternelle à toute autre nation qui refuse notre ingérence dans leurs affaires intérieures ; que cette guerre éternelle doit toujours être de nature offensive et non défensive ; que les massacres doivent toujours se perpétrer à l’extérieur de notre territoire ; et que la paix régnera sur notre monde quand tous nos ennemis auront capitulé.
2. Des entreprises et des impôts : Nous les Républicains, croyons que le Tout-Puissant a accordé à toute société commerciale le droit, le pouvoir et le devoir de ne pas payer ses impôts. Nous sommes nombreux à être convaincus que ce droit est inscrit n toutes lettres dans notre glorieuse Constitution. Par conséquent, la création d’entités juridiques aux Bermudes ou aux îles Caïmans, qui servent d’écran et permettent d’optimiser la fiscalité aux Etats-Unis, quite à ne plus être des sociétés américaines, paraît jsute, raisonnable et tout à fait légal. L’entité juridique écran devra en revanche occuper un espace commercial d’au moins deux mètres carrés dans le paradis fiscal de son choix.
3. Du conflit entre Israël et la Palestine : Nous, les Républicains, croyons que la paix et l’harmonie devraient exister entre ces deux Etats voisins. Les frontières de ces Etats seront décidées par le Premier Ministre israélien, après consultation auprès des Palestiniens qui ne sont pas encore morts. Nous, les Républicains, croyons également qu’il est peu productif de construire de nouvelles colonies juives et que celles-ci, par conséquent, devront être établies dans le secret le plus absolu. Nous crotyons enfin que les autorités israéliennes ne doivent aucunement négocier avec les Palestiniens, sauf si ceux-ci acceptent sans condition toutes les demandes israéliennes avant le début des négociations.
4. Du contrôle des armes à feu : les Démocrates indécis et timorés veulent empêcher le peuple américain de s’équiper d’obusiers. Au contraire, nous, les Républicains, croyons que tout citoyen a le droit de s’acheter autant d’armes qu’il le souhaite et de s’en servir avec le même discernement que les forces policières de notre Patrie Bien-aimée, c’est-à-dire à l’instant même où quelqu’un fait quelque chose qui pourrait vaguement être interprété comme étant une menace.
5. Du salaire des chefs d’entreprise : Nous, les Républicains, croyons que le Tout-Puissant a accordé à chacun d’entre nous le droit, le pouvoir et le devoir d’accaparer tout ce qu’il peut et dans les quantités les plus vastes possibles. Ce droit est inscrit en toutes lettres dans la Déclaration d’indépendance de notre pays, qui mentionne quelque part « la recherche du bonheur ». Par conséquent, il n’y a aucune limite au salaire des chefs d’entreprise, si ce n’est leur capacité à forcer leur conseil d’administration à leur donner encore plus.
6. De la nécessité d’esquiver les faits : alors que les Démoncrates dénoncent sans cesse notre indifférence à l’exactitude des faits, nous, les Républicains, croyons au contraire qu’esquiver les faits représente notre plus grande force politique. Nous ne mettons fin à cette pratique que si nous trouvons des faits qui correspondent effectivement à nos intentions.