Irrécupérable
Lenny Bruce

Tristram
avril 2018
361 p.  23,50 €
 
 
 
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coup de coeur

Bruce tout impuissant

L’autobiographie, ou disons les souvenirs d’un comique américain des années 60, célèbre chez lui, inconnu par ici, oui bon, pas de quoi à priori bouleverser un mariage princier. Qui plus est quand est spécifié sur la couverture que l’homme faisait du « stand up » mot entré dans le dictionnaire ou pas loin, presque dans le langage courant. Secouez un platane à Paris, il tombera une dizaine de ces comédiens, comiques revendiqués, seuls sur scène, qui racontent des blagues. Chaque semaine un nouveau, même Drucker fait du stand up, même Pivot. C’est dire si Lenny Bruce ne doit pas regretter de ne pas partager cette époque.
Donc Lenny Bruce, aux Etats Unis, dans les années 60 faisait du stand up. Ce qui, outre Atlantique signifie juste une scène, ou une estrade, un micro sur pied, un homme, ou une femme qui entre et qui parle. Comme on parlerait seul, sauf qu’il n’est pas seul, devant lui quelques personnes, dix, vingt, ou cent, qui l’écoutent plus ou moins, l’applaudissent ou rient, ou pas. Rien à voir avec ce qu’on pratique de nos jours par ici : le stand up n’a jamais consisté à aligner une suite de blagues, et jamais Lenny Bruce n’aurait pris pour sujet « le blond », par exemple.
Et c’est bien là tout le problème : Bruce parlait de la société, de l’Amérique, de sa politique, de ses guerres, de religion, beaucoup, de sexe aussi, et crûment. Un « cock sucker » entendu dans un de ses spectacles lui vaudra son premier procès. Un procès dont il nous livre une partie des « 300 pages de procès verbal » (!!!) et qui consistera pour les juges à savoir si d’une part il parlait d’une pratique homosexuelle (ce à quoi Bruce répondra que sa femme faisait ça très bien) d’autre part à deviner si son spectacle était « obscène », et surtout à savoir si l’assistance aurait pu être « excitée » par ce show.
Le verbatim de ce procès renvoie assez clairement aux temps d’une certaine inquisition. Ainsi va cet étrange pays, berceau du porno industriel et qui aujourd’hui encore masque d’un « bip » les « fuck » prononcés à l’antenne.
Les souvenirs de Bruce sont l’histoire d’une chute, du basculement d’une carrière de « comédien » comme on appelle les comiques là bas, à celle d’un paria, qui enchainera les procès à la même vitesse que les représentations et se verra même arrêté à titre préventif, une sorte de fiché S de l’humour.
Il meurt un an après avoir publié ces mémoires, et figurera sur la pochette du Sergent Pepper des Beatles. Visage de la contestation, d’un non politiquement correct qui ne dit pas encore son nom.
Quelques décennies plus tard, Jerry Seinfeld deviendra la plus grande star mondiale du stand up, avec une série sur « rien ». A l’opposé d’un Bruce qui revendiquait l’aspect « sociétal » de ses spectacles, la possibilité offerte de parler de tout, librement, exagérément, salement.
N’attendez pas de rire an lisant « Irrécupérable », récit terrible, aveu d’impuissance aussi d’un homme qui pensait dur comme fer que l’amendement qui garantissait la liberté d’expression valait autant que celui qui permettait à tout un chacun de porter une arme.

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