C’est marrant la vie d’un roman… J’ai trouvé celui-ci lors d’un séjour à Toulouse, il y a deux ou trois ans. Comme je l’ai déjà dit (à vous ou à d’autres… je commence à radoter, c’est l’âge – ben oui, moi j’ai la chance d’être née avant 75…), lorsque je visite une ville, je commence par les deux choses essentielles : la meilleure librairie et la meilleure pâtisserie (on pourrait rêver que les deux fussent réunies dans un lieu unique mais c’est rarement le cas, hélas – si vous avez des adresses, je prends !)
Eh bien, à Toulouse, paraît-il qu’il faut aller chez Ombres blanches. Tiens, j’en profite au passage pour dire à Monsieur Aurélien Bellanger qui le 22/11/19, sur France Culture, avait daigné trouver Toulouse un peu moins « provinciale » (quoique…) grâce à la présence de la librairie dont je vous parle et de la possibilité de s’y procurer les œuvres complètes de Gramsci, donc je tenais à lui dire que j’habite à la campagne, dans l’Orne (je vous laisse deux secondes pour regarder sur une carte – cela-dit, Monsieur Bellanger connaît puiqu’il est né dans le département voisin, en Mayenne, à Laval!-) je tenais donc à rassurer cet auteur : je n’ai JAMAIS MANQUÉ DE RIEN. Lorsque j’ai besoin d’un livre (quel qu’il soit), je le commande chez mon libraire. Je le récupère le moment venu. Je ne vais pas succomber ni sombrer dans une profonde dépression parce que je dois attendre deux ou trois jours pour obtenir ce que je veux. J’aime la littérature mais pas au point de vomir ou de m’évanouir si je ne peux me procurer en deux temps trois mouvements Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu en ancien français. Ils me font toujours sourire ces Parisiens d’adoption, encore éblouis par les lumières de la ville, qui crachent sur « la France profonde » dont ils sont issus… Avoir ce genre de propos au XIXe siècle, passe encore, mais à notre époque, ça me semble un peu relever de l’anachronisme…
C’était mon coup de gueule. Passons…
Donc le roman dont je m’apprête à vous parler trônait dans ladite librairie sur la table des « incontournables ». Le titre et la couverture ayant retenu mon attention, je l’achète. Il passe deux trois ans dans une belle PAL (pile à lire) jusqu’à ce que je m’en empare enfin…
Et c’est toujours le moment où l’on se dit : mais pourquoi n’ai-je pas lu ce texte avant ?
Car, oui, je me suis régalée. Alors je vous préviens tout de suite, il faut avoir un esprit d’aventurier, aimer le romanesque pur et dur et les situations les plus rocambolesques qui soient, accepter que l’écrivain se joue de vous, tende des pièges et que des trappes s’ouvrent brutalement sous vos pieds et surtout, il faut se laisser aller et retomber en enfance, lorsque l’on goûtait le plaisir de se plonger dans un roman de Stevenson ou un Tintin…
Vous êtes prêts ? Alors on y va !
D’abord, vous êtes (délicieusement) interpellé : « Aimable lecteur : j’aimerais te raconter un incident qui date d’il y a dix ans… » L’apostrophe, le tutoiement… Me voilà happée.
Un premier narrateur, écrivain de profession, s’installe avec son chat et sa femme (ou l’inverse!) dans une maison ancienne et mitoyenne près de Toronto. Il découvre, en visitant cette demeure, une bibliothèque très riche remplie de livres anciens. Lorsqu’il cherche à connaître le propriétaire de la maison (et de la bibliothèque), on lui répond qu’un avocat s’occupe des papiers…
Un jour, tandis qu’il s’est installé au jardin pour écrire, notre écrivain fait connaissance avec son voisin, un certain Thomas Vanderlinden, un homme très érudit, ancien professeur d’université à la retraite. Une amitié s’installe jusqu’à ce que le vieil homme soit hospitalisé. Notre narrateur lui rend régulièrement visite. À l’occasion de l’une de ces rencontres, le retraité lui montre une photo de sa mère, Rachel Vanderlinden, et lui explique comment, autrefois, avant même sa naissance, tandis qu’elle attendait le retour de son mari, un certain Rowland Vanderlinden, explorateur-ethnologue de profession, un inconnu s’est présenté chez elle en disant simplement : « Je suis votre mari ».
Dans un premier temps, Rachel s’apprêta à renvoyer le faussaire lorsque soudain, elle se ravisa sans que l’on sache pourquoi. L’inconnu s’installa donc chez les Vanderlinden comme s’il était chez lui. Jamais Rachel ne voulut savoir qui il était, ni d’où il venait et encore moins ce qui était arrivé à son (vrai) mari. Pourquoi ? Mystère ! Et c’est là que commencent les aventures les plus folles, absolument impossibles à résumer, avec moult et moult rebondissements… Les choses les plus farfelues sont racontées le plus sérieusement du monde comme si c’était des vérités scientifiques, ce qui crée un décalage vraiment irrésistible et très pince-sans rire (attendez qu’on vous décrive le ver de Guinée et vous comprendrez ce que je veux dire…). Oui, ce texte est bourré d’inventions, il pétille à toutes les pages, il nous mène en bateau (au sens propre et figuré), nous trimbale au bout du monde, nous laisse pantelant dans un coin reculé du globe et lorsqu’on imagine pouvoir reprendre un peu son souffle, une trappe s’ouvre et l’on tombe en chute libre vers d’autres péripéties plus insensées et plus rocambolesques les unes que les autres.
Les narrateurs se succèdent, les mystères finissent par s’éclaircir et l’on se régale d’un bout à l’autre de ce roman inénarrable écrit par un conteur hors pair !
Bravo Ombres blanches pour cette belle découverte ! Heureusement qu’il m’arrive de battre un peu le pavé urbain, sinon, qu’est-ce que je deviendrais… Je m’ le demande…
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