La fabrique de papier tue-mouches
Andrezej Bart

Noir et blanc
septembre 2019
200 p.  19 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Traître ou martyr ?

Collaborateur ou sauveur ? Voici la question posée à propos de Chaïm Rumkowski, désigné en 1939 par les nazis comme directeur du Conseil juif du ghetto de Lodz en Pologne. Dans ce roman à la fois onirique et réaliste, historiquement documenté, se tient le procès posthume de celui qui se revendiquait comme le protecteur des Juifs, mort à Auschwitz en 1944. Le narrateur contemporain de cette histoire est un scénariste endetté engagé par le descendant de Hans Biebow, supérieur hiérarchique nazi de Rumkowski, pour écrire le compte-rendu de l’instruction. Les protagonistes de l’époque ayant disparu, ce sont leurs fantômes qui sont réunis pour ce procès des spectres. Défendu par un étudiant en droit, Rumkowski décide de garder le silence devant le juge, le procureur et les témoins. Dans un défilé hétérogène se succèdent déportés anonymes, nazis, figures célèbres comme l’éducateur Janusz Korczak ou la philosophe Hannah Arendt, et même les sœurs de Kafka. L’enjeu est d’examiner cette affaire complexe sous toutes ses contradictions. Certains affirment que celui qui était surnommé « le roi Chaïm » agit au sein du ghetto dans l’intérêt des juifs en créant un ensemble industriel, des écoles, un orphelinat, une organisation pour la survie le plus longtemps du plus grand nombre. D’autres au contraire soutiennent que Rumkowski était un collaborateur qui livra à la déportation des milliers de vieillards, d’enfants et de malades, afin de ne préserver que les plus vaillants. L’accusé fonda-t-il « un état d’esclaves pour les nazis » ayant « permis d’envoyer ses sujets à la mort », ou bien n’était-il qu’un instrument aux mains des SS ? Telle est la question à laquelle doivent répondre les jurés avec une connaissance historique a posteriori. Primo Levi, quant à lui, situait Rumkowski dans la fameuse zone grise : « Ce n’est pas un monstre, et ce n’est pas non plus un homme ordinaire, cependant beaucoup, autour de nous, lui ressemblent ». Avec un talent romanesque original qui n’éclipse pas la rigueur du propos, Andrzej Bart interroge la postérité de ce Doyen des Juifs qui suscita les controverses les plus nombreuses.

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