Le roman de l’écrivain britannique Jim Crace, porteur d’une conscience sociale, nous parle de la solitude et de la vieillesse, de l’urbanisation sans frein et de la corruption, avec une délicatesse, une poésie et une mélancolie émouvantes qui renouvellent le genre sans l’affadir.
Al Busi est un ancien chanteur-compositeur veuf et esseulé dans sa maison au bord de l’océan. Une nuit, il est agressé par une créature qui s’est introduite dans son garde-manger ; le sexagénaire est persuadé qu’il s’agit d’un enfant nu et affamé. Mais la presse s’empare du fait divers et monte l’histoire en épingle au point que le « Times » s’en fait l’écho, évoquant les indigents retournés à l’état sauvage qui se terrent dans les forêts et rôdent la nuit dans les cités. Le neveu du chanteur, un promoteur immobilier qui brigue la mairie, utilise avec opportunisme la peur comme argument politique. Il veut « assainir » la ville pour protéger les honnêtes gens, et mettre en œuvre un nouvel urbanisme en favorisant la construction d’un ensemble résidentiel moderne et sécurisé à la place des vieilles maisons du front de mer. Busi, infantilisé par l’instrumentalisation de son agression et révolté par les projets de son neveu, a le sentiment de n’être qu’un témoin impuissant de la marche forcée d’un certain progrès. Survivant lui aussi d’un monde en voie de disparition, il trouve en sa jeune voisine et en sa belle-sœur deux alliées, sans compter le narrateur dont on ne connaît l’identité qu’à la fin, qui prend la relève de la vigilance. Jim Crace fait du territoire un enjeu sociétal incontournable. Laissés-pour-compte, pauvres, vieux ou indomptables sont mis en roman avec une humanité rare qui scrute les interstices du béton et les lisières, là où germent les révoltes.