Lors d’une nuit de pleine lune, un homme qui a choisi de se retirer de la ville fait sa promenade habituelle sur un chemin peu fréquenté. Il suffira d’un trou qu’un vague brouillard masque pour que cette nuit devienne bien étrange. Immobilisé par une cheville tordue, téléphone portable en panne, il entend bientôt, après le virage mais invisible, la voix d’un homme à qui la même chose vient d’arriver. L’autre est un étranger au village, un agent d’assurance qui passait la nuit là après avoir pu placer quelques contrats et qu’une nuit d’insomnie a encouragé à faire un tour hors de son hôtel. L’un s’est foulée la cheville droite, l’autre la gauche. Un singulier dialogue s’engage alors entre les deux hommes, l’un de droite et l’autre de gauche, ponctué par les interventions de quelques visiteurs nocturnes : un duo de grillon curieusement désaccordés, une chouette au ululement triste et surtout un corbeau, apparemment surpris par le brouillard et qui semble commenter à sa façon tout ce qui se dit, approuvant, soulignant de ses croassements le moindre propos.
Pour alimenter la conversation et le bavardage, il y a toutes les connaissances que Macario a accumulées en surfant des heures sur internet : poèmes, proverbes, statistiques… Tout cela n’est pas des plus cohérent mais est néanmoins apprécié par Ismael, l’agent d’assurance, qui ne veut pas qu’on le laisse seul dans la nuit et que le bavardage avec Macario rassure. Seule ombre au tableau, dans cette nuit de pleine lune un peu inhabituelle : la crainte de Macario de se transformer en loup-garou. Il est en effet très sensible à la pleine lune, surtout ce soir où elle lui fait perdre un peu la boule dès que les nuages ne la cachent plus suffisamment. Malgré son dentier, il lui faut vérifier que ses canines de plastiques ne se transforment pas bizarrement…
Plus ou moins approuvé par le corbeau, Macario se risquent à quelques blagues, mais aussi à quelques questions existentielles sur la vie de son invisible compagnon d’infortune, (qu’il devine au fur et à mesure) ou sur la sienne. Un corbeau à la présence bien énigmatique mais bien moins inquiétante que celui du poème d’Edgard Poe et de son sinistre « nevermore ».
Vaguement onirique et fantastique, tout ce dialogue est surtout profondément ironique, à la milite de l’absurdité souvent. Tout se passe dans ce seul lieu et le récit de cette rencontre est très théâtral dans sa forme (on peut bien sûr penser au théâtre de Beckett, mais avec une légèreté et une grâce ironique qu’on ne trouve pas chez Beckett). On imagine très bien une adaptation pour la scène.
Javier Tomeo est bien un maître de ce fantastique absurde et ironique (qui peut me rappeler la voix d’un Clifford D. Simack, dans la science fiction américaine). Il nous a hélas quitté en juin dernier. Il nous reste une œuvre abondante dont à peine la moitié a été traduite en français. Sa traductrice attitrée, Denise Laroutis, pourra encore nous permettre de faire d’autres découvertes…
Pour l’instant la plupart des titres traduits sont édités par Christian Bourgois ou José Corti. Les version originales sont éparpillées chez plusieurs éditeurs espagnols, dont Anagrama.