Avec l’exode rural massif des années 1950 à 1970, les campagnes espagnoles se sont vidées et l’on a oublié ceux et celles qui les peuplaient. Vétérinaire en milieu rural et poète, Maria Sanchez parle de ces derniers, avec une volonté de réhabilitation mémorielle de ses ascendantes, et une définition d’un nouveau féminisme rural.
Fille et petite-fille de vétérinaires de campagne, l’auteure est la première femme à accéder à des études supérieures et à un métier. Sa mère et sa grand-mère n’ont pas eu cette chance ni cette reconnaissance. Elle se souvient que dans son enfance, alors que « les hommes de sang et de terre ne pleurent jamais, n’ont pas peur, ne se trompent pas […], savent ce qu’il y a à faire […], les femmes de la maison […] étaient invisibles ». Les pères, les maris ou les frères étaient propriétaires de la terre tandis qu’elles ne possédaient rien. Pourtant les femmes ont travaillé tout autant, s’occupant des enfants, des tâches ménagères, du potager, des poules, vendant quelques œufs et légumes qu’elles cultivaient elles-mêmes, aidant aux champs, au soin des bêtes, participant à la cueillette des olives, évidemment sans aucune rémunération. Alors pourquoi cette invisibilité inversement proportionnelle à leur activité ? Maria Sanchez a commencé à s’intéresser à la question à la mort de ses grands-parents, et s’est rendu compte qu’elle ignorait tout de la vie de ses grands-mères, parce qu’elle-même n’avait jamais posé de questions et que les autres n’avaient pas jugé intéressant de parler d’elles. Les histoires étaient aussi l’apanage des hommes ; son père et son grand-père lui parlaient, lui racontaient des histoires, lui apprenaient des choses, mais hors du foyer où s’activaient les femmes.
Aujourd’hui de nombreuses femmes reviennent dans les villages après que la génération de leurs parents en est partie pour la ville, le travail et une vie plus confortable. Elles se regroupent en associations et font revivre ces territoires avec des exigences de notre temps : « la connectivité, les services de base, l’éducation, la santé, la culture ». Entre récit et essai, ce livre nous parle intimement de son auteure, des raisons qui la poussent à écrire, des mentalités des villages, des traditions et du féminisme « tout-terrain » dont elle se revendique. Un beau témoignage et un engagement convaincant.