Le bosquet
Esther Kinsky

Grasset
février 2020
380 p.  24 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

Conjurer l’absence

A la mort de l’être aimé, la narratrice se réfugie dans une maison perchée sur les hauteurs d’Olevano, près de Rome. Pour conjurer l’absence de celui qui aurait dû l’accompagner dans ce voyage, elle observe le village s’éveiller dans les brumes de janvier, les commerçants accomplir jour après jour les mêmes gestes, qui la rassurent. « Avant d’entrer dans le veuvage, on peut bien songer à la mort, pas encore à l’absence. Elle est impensable aussi longtemps que subsiste une présence. » Au cimetière d’Olevano, où ses pas la conduisent aveuglément, elle observe le va-et-vient des familles, s’enquiert de l’existence des défunts, mais demeure au regard de tous une étrangère. « Sans doute faisais-je figure d’intruse à leurs yeux, rien ne m’autorisait à venir en ce lieu, moi qui n’avais aucune tombe sur laquelle me recueillir. » L’Italie lui est pourtant familière depuis l’enfance et les vacances estivales, dont le souvenir se mêle à celui de son père et d’une violente dispute qui l’avait laissé, pendant quelques heures, orpheline. Passé et présent s’entremêlent dès lors, puis font écho au périple que la narratrice entame du delta du Pô au Trastevere romain, et Ferrare, où elle aurait dû partir avec son amant sur les traces des Finzi-Contini.

Méditation sur le deuil et notre présence au monde, Le bosquet se déploie comme un triptyque où les silhouettes des morts côtoient celles des vivants, et les anonymes d’illustres figures. En mouvement permanent, l’écriture d’Esther Kinsky (magistralement traduite par Olivier Le Lay) saisit, au sens photographique du terme, les impressions, saveurs, senteurs et nuances inépuisables de ces paysages méridionaux qu’il ne s’agit pas simplement de visiter, mais d’en saisir l’essence à travers les êtres qui les animent. Après La rivière (Gallimard, 2017), dans lequel la narratrice remontait le cours de ses souvenirs en même temps qu’un affluent de la Tamise, l’écrivaine confirme son talent à sublimer des lieux dont elle s’empare avec une infinie délicatesse.

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