Le Gang de la clé à molette ? De retour, pour vous jouer un mauvais tour ! Si sa traduction française ne laisse guère planer de doute quant à l’intrigue de ce second opus, le titre original du roman (« Hayduke lives ») éclaire les mystérieuses dernières pages du « Gang » : oui, Hayduke est vivant et il poursuit sa croisade contre le capitalisme rampant et ses sbires, aux côtés d’un étrange cow-boy. On ne peut hélas en dire autant de ses comparses de la première heure qui, après un détour par la case prison, semblent s’être détournés de leur noble cause. Doc et Bonnie n’ont d’yeux que pour leur petit Reuben en attendant leur second enfant ; quant à Seldom Seen Smith, il a suffisamment à faire avec ses trois ménages (il est mormon) et le flot de touristes débarqués dans le Colorado. Ce qui n’est pas pour déplaire à l’inénarrable évêque Love qui, après avoir pourchassé nos quatre acolytes, projette cette fois-ci de construire une mine d’uranium à l’aide du plus gros excavateur jamais construit, Goliath le bien nommé. Devant l’avancée impitoyable de la bête immonde, saccageant les paysages désertiques de l’Ouest, détruisant la faune et la flore, le souvenir du pacte scellé lors d’une veillé au coin du feu se réveille, et notre gang reprend du service.
Le « Retour » renoue avec la verve déjantée et « gilliamesque » (on songe aux visions hallucinées de « Las Vegas Parano ») du premier opus : les gags sont au rendez-vous, la mauvaise foi également, et le propos prend une tournure encore plus radicale que dans le précédent roman, comme le laisse entendre l’avertissement d’Abbey : « Quiconque prendra ce livre au sérieux sera immédiatement abattu. Quiconque ne le prendra pas au sérieux sera enterré vivant par un bulldozer Mitsubishi. » Un préambule jubilatoire, notamment lorsqu’on a dévoré les précédentes aventures sans être totalement repus… Seulement voilà, on rit moins. Achevé en 1989 par son auteur – l’année de sa disparition -, le récit manque de fluidité en dépit de la permanence d’un souffle épique propre à l’écriture d’Abbey, et merveilleusement rendu par la traduction de Jacques Mailhos. Les grivoiseries virent à l’outrancier, les péripéties se chargent de digressions inutiles qui égarent le lecteur. Pire : le récit est empreint d’une aigreur latente qui prend finalement le pas sur la bonne humeur véhiculée par ses protagonistes, comme un ver dévorant la pomme. Abbey pressentait-il la catastrophe écologique à venir ? Avait-il rendu les armes face à ce combat de David contre Goliath ? Le « Retour du Gang » n’échappe pas à la terrible loi des suites, souvent terne réchauffé de l’œuvre originale. A réserver aux inconditionnels, donc.
Lire ici notre chronique du 1er volume.