Le premier roman de Jessie Burton, l’excellent Miniaturiste avait pour inspiration une maison de poupée exposée au Rijksmuseum à Amsterdam. Les filles au lion est cette fois le nom d’un tableau, a priori inventé mais si bien décrit par l’auteur qu’on l’imagine très bien se détacher sur le mur d’un prestigieux musée. Jessie Burton aime donc explorer les arcanes de l’art, une source qu’elle exploite avec un réel talent. Ses descriptions sont minutieuses et imagées, les couleurs explosent, sa plume se fait pinceau et parvient à faire surgir les univers – l’Amsterdam du 17ème siècle, brun, sombre et glacial de Miniaturiste, le sud de l’Espagne aux tons vifs et chaleureux ici – directement depuis une palette de peintre. Miniaturiste avait l’avantage de la surprise. Avec Les filles au lion, Jessie Burton fait mieux que confirmer. Elle impressionne.
Par sa maitrise de l’intrigue tout d’abord, tissée à travers deux époques et deux destins de femmes qui semblent se répondre. En 1967, Odelle, une jeune femme originaire des Caraïbes tente de se faire une place à Londres mais doit faire face au racisme ordinaire. En 1936, Olive est une jeune femme qui rêve de se consacrer à la peinture mais dont le père, un célèbre marchand d’art n’imagine même pas qu’un grand peintre puisse être une femme. Odelle voudrait écrire mais manque de confiance en elle. Olive se cache pour peindre. A trente ans d’écart, l’émancipation des femmes est toujours aussi difficile.
Odelle travaille en tant que secrétaire pour une galerie d’art aux côtés de Marjorie Quick dont elle admire en secret l’assurance et la position. Lorsque son petit ami, Lawrie Scott souhaite soumettre à l’avis de spécialistes un tableau que sa mère lui a légué, Odelle assiste avec surprise à la réaction de Quick qui semble bouleversée en le découvrant. Quel est donc le secret de ce tableau, Les filles au lion attribué à Isaac Roblès, un peintre espagnol disparu pendant la guerre d’Espagne ? Que représente-t-il pour Marjorie Quick ? Pourquoi cette dernière semble-t-elle semer des informations et des indices à l’attention exclusive d’Odelle ?
Jessie Burton fait monter avec talent une tension dramatique au fil des allers et retours entre les deux périodes et de l’avancée dans la genèse de ce tableau. Dans son histoire se mêlent les prémices de la guerre d’Espagne, les relents des nationalismes qui vont bientôt mettre l’Europe à feu et à sang, et un triangle amoureux aux passions exacerbées par le contexte. Il est question de force créatrice et de liberté, de contraintes et de sources d’inspiration. Mais ce qui capte l’attention au-delà de tout le reste, c’est le parallélisme entre les parcours d’Odelle et d’Olive, le formidable défi auquel elles se confrontent à des décennies d’écart pour gagner le droit de s’adonner à leur art. En perçant le secret du tableau, Odelle va gagner bien plus que la satisfaction de la vérité. Elle va se découvrir elle-même.
Les filles au lion est un roman qui vous capte et vous transporte avec bonheur dans un univers que vous n’avez pas du tout envie de quitter. Bien rythmé, bien écrit, bien calibré. J’ai aimé cette plongée dans le monde de l’art et cette réflexion enrichissante sur l’histoire d’une oeuvre et la façon dont elle témoigne de la vie intime d’un artiste autant que de la Grande Histoire. C’est maintenant certain, j’attendrai le prochain opus de Jessie Burton avec envie.
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