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« Mon père m’a nommée Aaliya, l’élevée, celle au-dessus. »« J’aime beaucoup la citation de Mark Twain : « L’histoire ne se répète pas, mais elle rime. » » En constatant que l’auteur était un homme après avoir lu ce roman je n’en revenais pas : j’ai accordé foi tout du long à la voix d’Aaliya, j’étais persuadée de lire un récit et non un roman. Je la voyais tellement bien, cette beyrouthine de soixante-douze ans, solitaire dans son grand appartement délabré et de plus en plus inadaptée à toute vie sociale. Tout comme chaque 1er janvier elle entame une nouvelle traduction, je la pensais décidée à coucher sur papier sa vie différente, à témoigner qu’on peut être arabe, libanaise, répudiée, libraire, athée, drôle, râleuse, amoureuse folle de la littérature, qu’on peut lire ses contemporains – et se désoler de leur platitude -, se référer aux classiques comme on respire – sans le moindre atome d’une quelconque pédanterie -, ou qu’on peut se définir comme traductrice même – et peut-être surtout si – personne n’a jamais lu notre travail. Ainsi Aaliya n’existe pas ? Il fallait l’inventer. Elle était nécessaire. Elle m’a montré Beyrouth comme si j’y déambulais moi-même, j’ai vécu toutes les guerres qui s’y sont succédé, j’ai fait l’appel de chacune de mes vertèbres avant de poser le pied sur le sol le matin, j’ai connu Hannah et je la pleure encore, et surtout, surtout : j’ai envie de lire, lire, lire, encore plus.
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Une vieille dame indigne…
Les Vies de papier est un roman que je vais garder bien précieusement dans un coin de ma bibliothèque, à portée de main et de regard comme le portrait d’un être cher que l’on aime avoir sous les yeux… Oui, j’ai adoré le personnage d’Aaliya Saleh avec ses soixante-douze ans, ses cheveux bleus (ben oui, une erreur de manip’, ça arrive), ses lunettes et ses clefs qu’elle cherche tout le temps (comme moi), son refus de se laisser étouffer par la société, la famille, les voisins, son amour des livres qu’elle traduit en arabe et ses mille et un souvenirs qui m’ont amusée, touchée, émue aux larmes. J’aimais retrouver Aaliya tous les soirs, son franc-parler, son humour, sa façon d’être au monde, elle va terriblement me manquer. C’est pourquoi, il est hors de question qu’elle s’éloigne de mon bureau… Il faut que vous dise aussi qu’à cause d’elle, mon budget Noël a diminué de moitié car elle m’a fait acheter une quantité de livres incroyables : j’ai rempli de titres plusieurs pages de mon carnet noir ! Aaliya est traductrice : tous les premiers janvier, après un bon bain décrassant et deux bougies allumées, elle « s’attaque à une Å“uvre nouvelle » qu’elle traduit en arabe… j’oubliais de vous dire une chose importante : elle habite Beyrouth ! Kafka, Yourcenar, Coetzee ou Bolaño ? Pas facile de choisir ! Elle vit depuis des années dans son appartement-refuge : dehors, pendant longtemps, ça a été la guerre et puis, lire et traduire sont deux activités qui l’occupent pleinement. Elle n’a besoin de rien d’autre et surtout de personne. Autour d’elle, des livres et des cartons dans lesquels elle place ses traductions : le carton Anna Karénine, le carton Le Livre des mémoires, le carton Le Livre de l’intranquillité et les autres, tous les autres. Qu’en fait-elle ? Rien. Elle les range dans une petite chambre de bonne et passe à une nouvelle traduction : « Traduire et ne pas publier, voilà ce sur quoi je mise ma vie… c’est le processus qui me captive, et non le produit fini. » » résume- t-elle. Son amour pour les livres remonte à loin : « Je me suis glissée dans l’art pour échapper à la vie. Je me suis enfuie en littérature. » avoue-t-elle. L’art comme refuge pour celle qui ne s’est pas sentie aimée des siens : « Je suis le membre superflu de ma famille, son inutile appendice. » En toute lucidité, elle s’explique : « Je me suis depuis bien longtemps abandonnée au plaisir aveugle de l’écrit. La littérature est mon bac à sable. J’y joue, j’y construis mes forts et mes châteaux, j’y passe un temps merveilleux. C’est le monde extérieur de mon bac à sable qui me pose problème. Je me suis adaptée avec docilité, quoique de manière non conventionnelle, au monde visible, afin de pouvoir me retirer sans grands désagréments dans mon monde intérieur de livres. Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est mon bac à sable, alors le monde réel est mon sablier – un sablier qui s’écoule grain par grain. La littérature m’apporte la vie, et la vie me tue. » Voilà , c’est dit. Je n’ajoute rien ! Il faudrait aussi parler de la musique (j’ai noté plein de références, merci Aaliya, enfin… merci, façon de parler… le budget va encore en prendre un coup !) Parfois, elle entend ses voisines, Fadia, Marie-Thérèse et Joumana, qu’elle surnomme « les sorcières » parce qu’elle les imagine constamment en train de critiquer le monde entier. Voilà la vie d’Aaliya, son quotidien… Mais cette femme a eu une autre vie, avant : elle a été mariée (peu de temps) à un certain : oh… j’ai oublié son nom ! Peu importe, me dirait elle, continue, ne parle pas de lui. Alors, je continue… (Je ne suis pas contrariante !) Que dire de son mariage ? Je te laisse la parole Aaliya puisque tu tiens à en placer une : « Lorsque chacune des jeunes filles arabes fit la queue en attendant que Dieu lui donne le gène de celle-prête-à -tout-pour-se-marier, je devais être ailleurs, probablement perdue dans un livre. ». Elle cite aussi Stendhal qui fait dire au comte Mosca : « La première qualité chez un jeune homme d’aujourd’hui… c’est de n’être pas susceptible d’enthousiasme et de n’avoir pas d’esprit. » et elle poursuit ainsi : « le portrait tout craché du crétin que j’ai épousé, bénie soit son âme rance. » Elle ajoute que leurs conversations commençaient chaque fois par « un silence d’une bonne vingtaine de minutes ». Elle avoue regretter de n’avoir pas écouté Tchekhov qui disait : « Si vous craignez la solitude, ne vous mariez pas. » Enfin bon, conclut-elle en citant Mme du Deffand, « Ne point aimer son mari est un malheur assez général ». Elle eut aussi une amie : Hannah. Je l’entends me dire : « Là , prends ton temps, dis-leur qui était Hannah, ne bâcle pas. » Bien sûr, Aaliya, je vais leur dire mais pas tout, je ne peux pas leur raconter la terrible histoire de ton amie. Et puis, j’ai peur que ça te fasse de la peine de réentendre tout cela, laissons-les découvrir tout seuls. Disons quand même qu’elle adorait la philo, qu’elle était gourmande comme pas deux, et que, pendant que tu lui faisais la lecture, elle tricotait inlassablement pour les enfants de sa belle-famille… elle qui n’a jamais été mariée… Aaliya évoque aussi sa mère. « N’en parle pas ! » m’ordonne-elle. Ah ! Mais je fais ce que je veux ! C’est mon article tout de même ! Si les personnages commencent à intervenir comme bon leur semble, où va-t-on ? Avoue, tu as honte de l’avoir mise à la porte de chez toi, d’avoir refusé de la prendre pour soulager ton frère et ta belle-sÅ“ur ! C’est ça ? Mais tu as le droit Aaliya. Tu ne comprends pas pourquoi elle a poussé un horrible cri en te voyant ? Rappelle-toi que tu avais les cheveux bleus, Aaliya. Elle a peut-être tout simplement eu un peu peur. Moi (celle qui écrit… il faut préciser qui on est maintenant !), je veux me souvenir de la scène où tu lui laves les pieds : les larmes me montent aux yeux, Aaliya, ce que tu as fait était si beau. Ton geste m’a marquée. Je ne l’oublierai jamais. On pourrait aussi évoquer ta ville : « Beyrouth est l’Elisabeth Taylor des villes : démente, magnifique, vulgaire, croulante, vieillissante et toujours en plein drame. Elle épousera n’importe quel prétendant enamouré lui promettant une vie plus confortable, aussi mal choisi soit-il. » Une ville que tu as connue longtemps en guerre : « Tout Beyrouthin d’un certain âge a appris qu’en sortant de chez lui pour une promenade il n’est jamais certain qu’il rentrera à la maison, non seulement parce que quelque chose peut lui arriver personnellement mais parce qu’il est possible que sa maison ait cessé d’exister. » Les coupures d’eau, d’électricité, la faim, les trajets toujours différents… Terrible routine ! De quoi parles-tu encore Aaliya ? De ton corps (elle me regarde en fronçant les sourcils), un corps qui vieillit : « J’ai atteint l’âge où la vie est devenue une série de défaites acceptées… membres enflés, arthrite, insomnie, à la fois constipation et incontinence, les hautes et les basses marées des enfers du vieillissement. » Et puis, je râle toujours me souffle-t-elle. Merci on avait remarqué ! Tu n’es pas fréquentable, Aaliya ! Mais elle le sait celle qui cite Cioran écrivant dans Précis de décomposition (ah les titres de Cioran !) : « La vie en commun devient intolérable, et la vie avec soi-même plus intolérable encore. » Ce n’est pas beau de vieillir dirait l’autre. Je n’ai jamais dit ça, proteste-t-elle. Non, ça, Aaliya, c’est moi qui l’ajoute ! J’ai le droit, non, je suis libre d’écrire ce que je veux ! Tiens, elle s’est endormie… Elle ronfle un peu… Je vais enfin pouvoir conclure tranquillement… Une sacrée bonne femme, mon Aaliya ! Vous ne regretterez pas de faire sa connaissance… Enfin, je crois… Vous avez vu (et entendu !) : un caractère bien trempé ! Pas facile d’entrer chez elle, faut la connaître ! Maintenant, vous êtes prévenus. Vous ne l’oublierez pas de si tôt… Je vous laisse, elle ouvre un Å“il ! Je vais lui préparer son thé…
coup de coeur
Beyrouth, de nos jours. Aaliya, 72 ans, vit seule depuis son divorce il y a près de 50 ans. On pourrait dire d’elle qu’elle n’est pas très sociable puisqu’elle ne fréquente personne, même pas ses voisines qu’elle a surnommées le groupe des sorcières. Aaliya a une passion : les livres. Elle leur a consacré sa vie en tenant une petite librairie. Elle a aussi un rituel : tous les 1er janvier, elle choisit le roman qu’elle va traduire en arabe. Oh, ce n’est pas pour qu’il soit publié ensuite, c’est juste pour son plaisir. D’ailleurs, elle a sacrifié la chambre de bonne pour pouvoir y entasser tous les cartons contenant ses traductions, un par roman. Sa salle de bains est en passe d’être elle aussi totalement envahie. Comme l’on voit parfois des vieilles femmes entourées de nombreux chats, Aaliya ne peut vivre qu’entourée de ses chers romans qu’elle lit indifféremment en français ou en anglais. Outre l’amour de la littérature qui est le fondement de ce roman, l’auteur nous initie à la vie de Beyrouth (la ville fait figure d’un personnage à part entière), notamment en nous donnant des indications sur ce qui s’est passé pendant les années de guerre, mais également en révélant les fondements et les travers de la famille libanaise. Pour qui aime la littérature, ce roman est une ode à cet amour et à tous les merveilleux moments que l’on peut passer en compagnie d’un livre. |
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