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Portrait d’une héroïne tout en pudeur
« Pourquoi les choses se passent comme elles se passent ? » Cette question qui la taraude, Lila n’a encore jamais osé la poser à quelqu’un. De toute façon, elle n’espère pas vraiment de réponse, c’est simplement sa façon à elle de prendre du recul et de ne pas se laisser submerger par cet instinct de survie qui la guide depuis son plus jeune âge. Depuis que, délaissée et maltraitée par sa famille, elle a été enlevée par Doll, une vagabonde et a trouvé auprès d’elle ce qui peut ressembler à de la tendresse malgré des conditions de vie très rudes. Cette question pourtant, elle la pose spontanément au Révérend Ames alors qu’elle vient de trouver refuge dans la petite ville de Gilead de nombreuses années plus tard. Ces deux solitudes qui se rencontrent semblent se reconnaître, reste à les apprivoiser mutuellement. Entre le vieil homme et la jeune femme plus si jeune se tisse alors une relation étonnante, faite d’amour et de crainte, d’espoir et d’incrédulité. Le Révérend a perdu très tôt sa femme et le bébé qu’elle venait de mettre au monde. En épousant Lila, bientôt enceinte, il entrevoit de nouveau le bonheur. Tandis que Lila fait son nid, elle s’interroge sur ce bonheur qui s’offre à elle et qu’elle n’est pas très sûre de mériter après toutes les épreuves qu’elle a traversées. Doucement, patiemment, sous la plume précise de l’auteure s’esquisse le portrait d’une jeune femme réservée, sauvage, livrée à elle-même mais bien décidée à comprendre le monde qui l’entoure. En l’enlevant, Doll lui a certainement sauvé la vie. En décidant de mettre entre parenthèse leur existence nomade le temps d’une année pour que Lila apprenne à lire, écrire et compter en allant à l’école, elle lui a donné les clés pour avancer. Ce roman d’apprentissage au féminin est plein de sensibilité malgré le contexte à la fois rude et cruel dans lequel se débat la courageuse Lila. Avec subtilité, l’auteure trace le difficile cheminement des sentiments au bout duquel la jeune femme, d’abord méfiante et incrédule, s’autorisera à être aimée et à aimer en retour. La construction du roman se joue de la temporalité et explore les pensées de Lila en revenant parfois sur son enfance, son adolescence aux côtés de Doll, les années plus difficiles lorsque cette dernière disparaît, et l’instant présent alors qu’elle s’apprête à devenir mère à son tour. Le questionnement sur ses origines est au cœur de ses réflexions et les réponses qu’elle cherche en recopiant des passages de la bible ne suffisent pas toujours à l’apaiser. Seule la relation avec le Révérend, aussi tendre qu’intellectuelle finira par avoir raison de ses craintes. Un très beau roman, à la fois âpre et sensuel, plein de pudeur.
coup de coeur
« Un petit quelque chose en plus »
Gageons que « Lila » est appelé à devenir un classique moderne. La romancière américaine Marilynne Robinson y explore d’une plume délicate les doutes d’un personnage féminin malmené par la vie, dont le cœur s’ouvre lentement au bonheur. Lila ? Elle est apparue un jour à Gilead et a conquis le cœur du vieux pasteur Ames qui l’a épousée. C’est ce que les habitants de la petite ville pourraient dire sur la jeune femme enceinte, étrange et farouche, qui entretient le cimetière et protège les fugitifs. Tout ce qu’ils ignorent, Lila le raconte pour son enfant à naître dans un récit intérieur rétrospectif qui alterne avec un présent auquel elle s’accoutume. Car Lila vient de loin… Enfant, elle a été enlevée à sa famille brutale par Doll, une journalière errante au passé obscur. L’ayant sauvée d’une mort probable, elle entraîne la petite fille dans la vie itinérante des travailleurs saisonniers qui sillonnent le Midwest des années 1930. Lila grandit ainsi sur les routes, protégée par Doll qui lui donne le meilleur de ce qu’elle glane dans cette vie au jour le jour. Mais quelques années plus tard, quand Doll est arrêtée pour meurtre, la jeune fille se retrouve seule et, entachée par le scandale, atterrit dans un bordel à Saint-Louis avant de trouver la force de s’enfuir plus au nord, dans l’Iowa. Elle y devient une nouvelle Ève qui habite une cabane dans les bois, lisant et recopiant quotidiennement des passages d’une bible volée. Bientôt, elle est attirée dans la ville voisine par la voix du pasteur John Ames, qui s’éprend à son insu de cette créature hors du commun, pure et insaisissable. Ces deux-là n’étaient pourtant pas destinés à se rencontrer, mais Lila, par ses questions sur le sens de la vie, sur Dieu, sur le pourquoi des choses qui arrivent, trouble les certitudes de l’homme de foi et de culture. De discussions en silences, le révérend solitaire et sensible apprivoise Lila au cœur blessé, qui trouve en lui la bienveillance dont elle était privée depuis sa séparation avec Doll. C’est sans même croire à sa propre audace que le pasteur la demande en mariage et que la sauvage Lila accepte dans un élan inattendu son amour humble et désintéressé, et l’esquisse d’une rédemption et d’un avenir apaisé. « Lila » est un grand roman d’apprentissage féminin, avec des personnages inoubliables, une histoire d’amour tremblante « comme une clarté », et un roman social qui n’est pas sans rappeler Steinbeck et le réalisme des ravages de la Grande Dépression. Marilynne Robinson insuffle un supplément d’âme à son roman : sans oublier le passé ni les morts, il est possible d’écrire un nouvel avenir sur une page vierge comme la neige et de lui donner les couleurs de l’instant qui se renouvelle à chaque seconde. L’auteure est une formidable conteuse, et l’on ne peut refermer « Lila » sans vouloir remonter le fleuve de la trilogie de « Gilead », tant on a de mal à se défaire de ces personnages terriblement humains et attachants. |
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