Si la mort est toujours cruelle et incompréhensible, le suicide peut l’être encore plus, car c’est une forme de crime où la personne disparue est « à la fois victime et assassin ».
« Matière noire » de l’Israélien Dror Burstein est un roman sombre et cérébral qui explore toutes les interrogations que cet acte aux insondables mystères peut poser. Ce texte assez complexe dans son articulation (sans chronologie et selon différents points de vue) n’est pas d’une lecture très facile, mais l’effort très relatif est vite récompensé par la satisfaction d’une jolie découverte littéraire. La définition littérale du titre qui relève du domaine de l’astrophysique est celle d’une matière hypothétique constituée pour partie d’étoiles mortes et de trous noirs. Ce roman est bien fait de cette matière là, avec comme étoile morte une sœur poétesse disparue et en guise de trous noirs, tous les dénis et non-dits des proches endeuillés. « Depuis un an, dans notre famille, il y avait un seul sujet de conversation et ce sujet, on ne l’abordait pas ».
Douze mois après la mort de sa grande sœur Dorit qu’il adorait, Ouri Ullman la quarantaine retrouve son vieux père Amos à Jérusalem pour tenter d’éclaircir les zones d’ombres de leur histoire familiale et répondre à la question qui l’obsède : pourquoi s’est-elle suicidée et pourquoi ses parents ont-ils attendu plusieurs mois avant de le lui dire ? Sans rancune ni colère, il veut tout de même régler ses comptes. Mais face au père meurtri qui reste vissé sur la chaise dont sa fille s’est servie pour se hisser et se pendre, Ouri homme de lettres, spécialiste de littérature hébraïque ne va pas trouver les mots : les siens pour questionner, ceux de son père pour offrir des réponses.
C’est au fil de sa propre mémoire avec ses défaillances qu’Ouri va devoir faire le travail pour reconstituer son passé éclaté. Et c’est par le très beau portrait de Rita, la mère, que l’auteur nous donnera à la fin quelques clés.
Dror Burstein, dont c’est le deuxième roman après « Proche », est considéré comme l’un des jeunes écrivains israéliens les plus prometteurs de sa génération. A juste titre. « Matière noire » offre une très belle et profonde réflexion sur les liens familiaux à l’épreuve du suicide. Ce livre puise sa singularité dans une approche cabalistique empreinte de la pensée du grand rabbin, poète et philosophe Moshé Ibn Ezra.
Une fois le livre refermé, on ne peut oublier Dorit, l’absente si fragile, magnifiquement mise en lumière à travers ses poèmes et l’amour inconditionnel que lui porte son frère. Si l’éditeur nous la présente en quatrième de couverture du livre comme la sœur de fiction de l’immense poétesse argentine Alejandra Pizarnik nous pensons aussi à l’inoubliable Sylvia Plath.