C’est l’histoire d’un petit garçon qui naît deux fois. La première disons classiquement, et la seconde, lorsqu’il apprend la nouvelle de la mort de son père, terrassé par une attaque cérébrale dans les bras de sa maîtresse. Comment retrouver l’insouciance des ballades en Simca, des films de Don Camillo en famille et de l’exploration de Dakar, la ville où ses parents se sont installés ? Devenu adulte et auteur de nombreux essais, Frédéric Shiffter s’attelle ici à une biographie qui est aussi une lettre d’amour à l’absent. Le lauréat du prix Décembre pour « Philosophie sentimentale » ne peut être accusé de ménager ses sujets. Lui-même d’abord, qu’il se plaît à décrire irascible, hautain, atrabilaire et vaguement caractériel. Son père ensuite, aux convictions à la droite de la droite, raciste et antisémite, infidèle et en froid avec sa propre famille. On ne baigne pas dans les eaux sucrées des souvenirs ! Mais en cinquante courts chapitres, le charme opère, par la magie de l’écriture qui fait revivre l’Afrique bien connue des expats sous fond de buveries, de tromperies et de boys mais aussi une adolescence plus classique à Biarritz avec le feuilleton « Au nom de la loi » , les malabars et les premiers émois. La découverte de la philosophie « prolongera le temps libre que l’école offre à l’enfance » et réparera un peu du chagrin. La mort du père a été aussi une révélation : celle que les mots permettent de dire la réalité, d’appréhender le monde et de tenir debout. Si on ne meurt pas de chagrin, on peut en écrire un livre, et un bon encore.