Le court roman d’Andrés Barba, écrivain espagnol parmi les plus prometteurs de sa génération, parle du mystère de l’enfance, ce monde inquiet et impénétrable obéissant à ses propres lois. Comme dans le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, les petites filles qu’il met en scène éprouvent la souffrance de l’existence, bien loin de l’innocence et de la pureté idéales et traditionnelles. L’action se situe dans un orphelinat, sorte d’huis clos où arrive Marina, qui vient de perdre ses parents dans un accident de voiture. Voici une étrange petite fille, étonnamment calme et tranquille, accompagnée d’une poupée qu’elle a baptisée de son propre prénom. Marina éveille la curiosité puis le trouble, on la désire pour compagne de jeu en même temps qu’on la craint, sa différence suscitant attirance et répulsion.
Très vite, le « nous » choral du groupe des petites orphelines s’oppose au « elle » de l’intruse qu’on jalouse. A la mise au ban succèdent les brimades, jusqu’à ce que Marina invente un jeu nocturne : le jeu de la poupée. Au fil des pages, et dans une écriture acérée qui traduit l’inquiétude et la fascination, l’auteur fait monter la tension. Tout procède d’une logique du désir mimétique et de la violence qui, appliquée à l’enfance libérée des tabous, n’en est que plus dérangeante. Andrés Barba est impitoyablement efficace dans sa narration, où le groupe rongé par le mal désigne une victime expiatoire pour se purifier, tel que René Girard l’avait théorisé. Un conte cruel à la maîtrise implacable.