Poésie en forme de rose
Pier Paolo Pasolini

Traduit par René de Ceccatty
Rivages

489 p.  12 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Pasolini retrouvé

C’est un recueil qui s’ouvre sur une question : « Je me demande quelles mères vous avez eues./ Si elles vous voyaient maintenant au travail/ dans un monde qui leur est inconnu,/ pris dans un tourbillon qui n’a jamais de fin/ tourbillon d’expériences si différentes des leurs,/ quel regard leurs yeux porteraient-ils ? »

Elle est reconnaissable, la voix de Pasolini, elle a traversé le siècle et l’on retrouve intacts, dans ces pages, la colère, le chagrin, la révolte, mais aussi l’humble admiration que le poète portait sur la beauté du monde. « Poésie en forme de rose » était jusqu’à aujourd’hui un recueil inédit en français, et on le découvre avec un plaisir rare.

De Pasolini on se souvient peut-être d’abord de sa mort, meurtre horrible et toujours chargé de zones d’ombre, mais aussi de son visage, ses films, ses combats. La persévérance de René de Ceccatty a largement contribué à faire connaitre en France son œuvre poétique et romanesque, par la biographie qu’il lui a consacrée et surtout par ses nombreuses traductions. C’est lui aujourd’hui qui préface et traduit ce recueil, très intelligemment publié en édition bilingue par Rivages, et porte jusqu’à nous le poète assassiné.

Un recueil comme celui-ci peut sembler au premier abord disparate, en réalité il a été savamment orchestré par son auteur, lequel dit-on construisait avec soin ses livres, modifiant sans cesse leur agencement. « Poésie en forme de rose » témoigne avant tout de l’étonnante créativité de Pasolini, et les textes rassemblés là croisent plusieurs thématiques. Aussi c’est avec beaucoup d’intérêt qu’on cherche, dans ce labyrinthe de mots, ce que l’auteur, au fond, nous raconte.

La solitude forcée, l’agacement face à la société, la parole politique, pourraient constituer un fil conducteur de ces textes. Mais il y a aussi la présence de ce que l’on pourrait appeler des poésies de voyage, sorte de carnets de route où Pasolini confie sa découverte des paysages africains, qui le tétanisent. On trouve des odes aux paysages italiens, aussi, des textes autobiographiques, où le personnage de la mère et les souvenirs de sa vie avec elle reviennent sans cesse. Ailleurs dans le recueil apparaissent des noms amis, témoins d’une Italie littéraire disparue : Elsa Morante, Alberto Moravia. Partout, une sourde nostalgie, une incapacité à vivre dans son temps, un regret éternel d’on ne sait quoi, « la sauvage douleur d’être des hommes », affleure à chaque mot. Une colère habite Pasolini, d’être dans un monde qui ne lui convient pas, où tout lui échappe, dont il ne peut et ne veut pourtant s’extraire. Enfin, Pasolini parle de son travail, de la langue et de la phrase et s’interroge sans fin, en théoricien, sur le sens de la littérature.

Car c’est bien une exceptionnelle figure d’intellectuel et d’artiste qui se dessine page après page. Pas seulement par l’étendue de son champ de créativité et son engagement politique, pas seulement parce que sa vie entière est consacrée à la création, mais aussi et surtout parce que tout, pour Pasolini, est vu sous le prisme de la poésie.

C’est ainsi que ce recueil montre qu’elle est un moyen d’expression en soi. Carnet de voyage, tract politique ou essai littéraire, la poésie propose une lecture du monde, et c’est toute une vie pensée ainsi, dans la beauté de la langue et l’émotion des mots. Car l’émotion en effet nous saisit à chaque page, et on réalise, une fois le livre refermé, combien, tant d’années après, Pasolini nous manque.

partagez cette critique
partage par email