Rivière fantôme
Dominique Botha

Actes Sud Editions
avril 2016
304 p.  22 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
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coup de coeur

L’arc en ciel en famille

Le roman de Dominique Botha, écrit à la première personne, comporte deux personnages principaux : elle-même, et son frère Paul Botha, un jeune homme désireux d’échapper aux contraintes familiales, qui se sent très tôt rebelle et rétif à toute forme de discipline. Dominique, pour sa part, est plongée dans les affres de la condition féminine et tente de devenir une jeune fille bien éduquée, et à plus long terme une bonne épouse, si l’occasion se présente. Nous sommes en Afrique du Sud, dans l’État libre d’Orange, à la veille de changements importants pour ce pays que le récit de Dominique Botha nous laisse entrevoir. Tout serait d’une présentation on ne peut plus classique et attendue, à cette différence près que leurs parents, Andries Botha et son épouse, militent pour l’égalité entre les Noirs et les Blancs. Ils tentent, à leur échelle, d’instiller de nouveaux rapports entre les diverses ethnies, se rendent dans les magasins tenus par des Noirs ou des Indiens.
Dans sa ferme, qu’il dirige d’une main de Maître, Andries Botha respecte ses employés, qu’il se garde de nommer par les termes en vigueur ; il pratique par avance une abolition de l’Apartheid. Pourtant, l’éducation qu’il dispense à ses enfants reste conservatrice, très traditionnelle. Et cela Paul Botha ne le supporte plus, au point de se faire renvoyer de l’université où il a été admis, et de déserter de l’armée, rejointe récemment suite à son renvoi universitaire.
Toute l’originalité du roman de Dominique Botha réside dans la peinture de cette contradiction : la rupture politique d’un côté, le traditionalisme éducationnel de l’autre. Son autre point fort est d’éclairer les sentiments des communautés, et plus spécialement les Afrikaners, auxquels appartiennent les membres de la famille Botha, par des rappels historiques très pertinents, notamment liés aux atrocités de la guerre des Boers : « Il pense aussi à sa grand-mère Miemie dans le camp de concentration de Bethulie (Ces salopards ont voulu nous exterminer, et de surcroît ils ont insisté pour qu’on aille se battre à leur côté pendant les guerres mondiales. » Au moment où un Noir des townships lui est présenté, Andries Botha exhibe son arbre généalogique et prouve sur le champ sa descendance directe des Griqua, issus de Khoisans et de colons européens… Néanmoins, Paul Botha ne parvient pas, pour sa part, à trouver sa place, ni sa voie dans ce pays, qui vient tout juste d’abolir l’Apartheid en 1989 et de faire libérer Nelson Mandela. Paul alerte sa sœur sur les dangers des traitements médicaux infligés par l’armée aux récalcitrants : « Ils se moquent absolument de notre guérison. Ils veulent simplement nous rendre assoiffés de sang, capables de tout massacrer. Celui qui ne coopère pas est considéré comme un fou. » Une autre allusion aux circonstances ayant entouré la guerre des Boers est éloquente ; elle apparaît comme un aveu, une reconnaissance d’un âge d’or : « En revanche, je me souviens que bonne-maman Miemie racontait que les années qui ont suivi la guerre des Boers ont été les plus heureuses de leur vie. Une époque où ils ne possédaient rien. »
Ce roman a un autre mérite : il nous fait apprécier à nous Européens, les beautés des paysages sud-africains, du Veld après la pluie ; il nous introduit dans les us et coutumes de la communauté Afrikaner, et la dévoile ainsi, sous un jour nouveau, celui d’une objectivité historique retrouvée. Ce roman fait penser à celui de Karel Schoeman, Des Voix parmi les ombres, qui renvoie aussi à la guerre des Boers, mais de manière plus allusive, plus indirecte. Signalons également la présence très bénéfique d’un lexique à la fin du livre, qui nous permet un bon début d’initiation à des termes et notions liés à l’histoire et aux coutumes de la nation arc-en-ciel. Dominique Botha, par ce premier roman, apporte une belle pierre à l’édification de la nouvelle littérature sud-africaine. Elle est prometteuse.

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