C’est une histoire dont on connaît déjà la fin, dramatique. A l’hiver 1956, un jeune poète, « rêveur buté », rencontre celle dont tout Cambridge parle : une étudiante américaine, brillante, solaire, en laquelle il reconnaît un double féminin. Coup de foudre. Quatre mois plus tard, le couple convole en justes noces vers la France, l’Espagne, puis les États-Unis, vivant d’amour et d’écriture, s’encourageant dans leur quête poétique respective. Mais derrière l’exubérance et l’ardeur de la jeune femme commencent à poindre les fantômes de son passé : une tentative de suicide, l’hôpital psychiatrique, la mort précoce du père, « tyran idolâtre », dont l’ombre plane bientôt au-dessus du couple qui s’étiole et finit par se séparer. Le 11 février 1963, à trente ans, Sylvia Plath s’allonge sur le sol de sa cuisine, la tête dans le four de la gazinière, et attend la fin.
Dès lors, « des torrents boueux de récits apocryphes, de faux témoignages, de ragots, d’affabulations » s’abattent sur le couple, devenu mythique, vouant aux gémonies celui qui reste : Ted Hughes, poète officiel de la Couronne d’Angleterre jusqu’à sa mort en 1998. « Elle était la sainte, la fragile, moi le traître et le méchant. » Ted Hughes reviendra peu sur le suicide de sa première épouse, et c’est dans ce silence que s’engouffre Connie Palmen qui, en choisissant d’adopter le point de vue du poète, s’impose l’audacieux défi de revisiter l’hagiographie officielle, sans juger, sans excuser ni condamner, mais en retraçant l’histoire d’une passion vouée dès ses prémices à la catastrophe. S’appuyant sur des éléments biographiques connus, s’appropriant les mythes et les thèmes inscrits dans l’œuvre de Hughes, l’auteure propose une saisissante immersion dans le quotidien du couple et la vie littéraire de l’époque, comme racontés par la voix du poète, sans intermédiaire. Loin des débats stériles entre partisans de Hughes et exégètes de l’œuvre de Plath, le lecteur découvre un homme sensible, amoureux d’une épouse ambitieuse, tourmentée par la peur de l’échec et des démons intérieurs dont il n’aura réussi à la sauver.
A l’image de la couverture française du roman, Connie Palmen nous invite de l’autre côté du miroir reflétant le couple emblématique qui, déjà, ne regarde plus dans une même direction, comme habité par l’œuvre à venir, et par l’inévitable séparation. Hanté par le compte-à-rebours fatal, le récit progresse avec fébrilité vers le dénouement connu, oscillant entre la douceur des jours heureux et les ténèbres qui, peu à peu, gagnent du terrain. Roman de l’envers des apparences, des dessous d’un mythe trop rapidement gravé dans le marbre, « Ton histoire. Mon histoire » explore avec brio l’une des formules chères à Ted Hughes : « odi atque amo », « j’aime et je hais », sentiment antithétique traversant le récit d’un bout à l’autre, réaffirmant que, dans cette histoire d’amour comme dans toute autre, la vérité n’est jamais une mais multiple.