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Portrait de femme défiguréeOn parle très souvent de la voix des auteurs, de la musicalité de leur écriture. Chez le Suisse Peter Stamm, bien sûr il y a un style, où il use des mots comme des subtiles notes d’une partition millimétrée. Mais concernant son dernier roman, on a surtout envie d’évoquer son regard. Celui qu’il porte sur son héroïne Gillian, en fait un modèle très vivant qui symbolise toutes les femmes et leur rapport intime à leur image. Cette vision aigüe et pénétrante de Peter Stamm est comme celle des artistes peintres qui parviennent, d’un simple trait à esquisser et capter l’essence même d’un sujet. Le sujet justement de « Tous les jours sont des nuits » est très fort. Gillian est présentatrice d’une émission culturelle à la télévision. Une femme, dont la carrière repose essentiellement sur l’image et la beauté. A la suite d’un accident de voiture, son mari Matthias qui était au volant, est tué à ses côtés. Elle se réveille à l’hôpital atrocement défigurée. Gillian avait pour amant un peintre, Hubert, pour lequel elle posait nue. Après l’accident, elle va le perdre. Et tout le reste aussi est anéanti, sa carrière, sa vie sociale. Six ans après le drame, sous le prénom de Jill, alors que loin de tout à la montagne, elle se reconstruit une vie à son image, les deux amants vont se retrouver. Et tenter de se « re-connaître ». La citation intégrale de Shakespeare dont est extrait le titre, résume l’enjeu de ce roman: « Tous les jours sont des nuits tant que je ne te vois pas, et les nuits sont des jours clairs quand le rêve te montre à moi ». Le rêve qui est cette part d’imaginaire qui seule peut nous sortir du réel quand tout semble en apparence mort et enterré. La situation extrême de Gillian qui se réveille défigurée et perdue au regard des autres, donne à Peter Stamm l’occasion de nous offrir des scènes bouleversantes d’introspection: « Elle ferma les yeux et perçut à nouveau le trou dans son visage, par lequel elle avait vu à l’intérieur d’elle même (…/…) Tout est encore là, dit-elle, il n’y a que moi qui suis partie ». Et puis les séances de poses réelles ou fantasmées entre Hubert, le peintre et Gillian, son amante et modèle, sont d’une sensualité subtile et néanmoins très tendue. Finalement ce roman de Peter Stamm se reçoit non pas comme un livre, mais comme un tableau dont se dégage une séduisante étrangeté .
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nuit blanche
Le roman de la reconstruction
Un bruit, une odeur, une lumière parviennent au cerveau d’une personne qui ne comprend pas vraiment ce qui se passe. C’est que Gillian est un sur lit d’hôpital et qu’elle se réveille suite à un choc traumatique. Avec elle, on commence à retisser le fil des événements. Qui est-elle ? qui sont les personnes qui l’entourent ? Comment l’accident est-il arrivé ? L’auteur a trouvé par ce biais un moyen très original de mettre la narratrice à égalité avec son lecteur : c’est ensemble qu’il vont cheminer et découvrir, détail par détail, comment les choses ont – mal – tourné. Elle revoit sa rencontre avec Matthias et le délitement de leur relation qui va conduire à l’enchaînement dramatique. Elle retrace son parcours avec en parallèle son parcours de présentatrice à la télévision et sa carrière qui s’ouvrait sur de belles perspectives. Puis elle évoque sa rencontre avec Hubert, un peintre qui la fascine et l’intrigue.
coup de coeur
A visage découvert.
Peter Stamm, né en Suisse en 1963, est un écrivain de la montagne, du froid, à la sensibilité exacerbée et feutrée. Comme dans « Agnès », le roman qui l’a fait connaître, ses personnages sont empreints d’une beauté intérieure énigmatique. Dans « Tous les jours sont des nuits », le romancier se fait peintre, et insuffle une nouvelle vie à une femme brisée. Gillian, présentatrice vedette d’une chaîne de télévision, se réveille à l’hôpital. Grièvement blessée, elle a survécu à l’accident de voiture qui a tué Matthias, son mari, la nuit du nouvel an, après une violente dispute qui les a opposés. Lorsqu’on lui tend un miroir, c’est le choc : elle est défigurée. Après plusieurs opérations chirurgicales, les médecins lui assurent qu’elle retrouvera un visage humain, mais elle sait qu’elle ne sera plus jamais la même. Sans sa figure grimée sur écran plat, elle est dépourvue de son identité, et se retrouve seule, étrangère à cette autre elle-même qu’elle regarde sourire dans le vide sur de vieux DVD. Son obsession de l’apparence est allée jusqu’au bout quand elle a voulu se faire photographier nue par un artiste alors en vogue, lequel a refusé ses avances, mais dont les photos ont provoqué la jalousie et la colère de Matthias lorsqu’il les a découvertes la veille de l’accident. Elle y voit conséquemment une punition de son orgueil humilié. Opération après opération, Gillian se métamorphose, se reconstruit, et change de vie : elle se retire dans les montagnes de l’Engadine où elle se fait embaucher comme animatrice dans un club de vacances. Là, elle va devoir repartir de zéro. Dans une prose épurée, Peter Stamm accouche d’une femme libre et mouvante à partir de son caractère iconique et immuable. Il dénonce la fascination pour l’image dans une société de consommation narcissique, déshumanisante et voyeuriste. Son écriture raffinée, parfois réduite à l’esquisse, sonde avec délicatesse les tréfonds de l’âme, palimpseste mille fois raturé et sans cesse réinventé. Placés dans des situations où le lecteur ne les attend pas, les personnages, qui conservent toujours un peu de leur impénétrabilité, composent avec une liberté périlleuse mais essentielle à leur singularité. |
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