La rédaction l'a lu
noyée de chagrinImpossible de garder les yeux secs à la lecture de ce roman à hauteur d’enfant. Si l’on devait établir un classement lacrymal des livres de cette année, « A demain, Lou » se disputerait la première place avec « Nuit de septembre » d’ Angélique Villeneuve. D’ailleurs la même mise en garde s’impose : pour lire ce texte magnifique, il faut avoir le cœur bien accroché et une boîte de mouchoirs à portée de main. Car sous les mots de Marie-Claude Vincent affleurent la poésie et la douleur. Lou à douze ans, ce sombre samedi matin d’été, quand Elisabeth, sa sœur aînée adorée, part passer le week-end chez son amie Cécile. « A demain, Lou », lui dit-elle en l’embrassant. Éli tient toujours ses promesses. Celle-là, pourtant, elle ne l’honorera pas. Comment admettre qu’elle s’est noyée dans la piscine alors qu’elle venait de décrocher son brevet de natation ? Ses parents lui ont juste dit qu’Éli était partie (« Etre parti ou perdu, ce n’est pas mourir, n’est-ce pas »), alors Lou l’attend. Marie-Claude Vincent dit avec une infinie délicatesse l’insupportable absence. Lou dresse de longues listes dans ses deux cahiers Clairefontaine (le bleu pour les choses matérielles, le rouge pour tout le reste) afin qu’Éli soit au courant de tout à son retour. Et ces listes, où se devine le deuil de la famile, sont à pleurer. Lou y consigne tout ce qui se passe dans la maison : la photo de l’entrée, reléguée dans la chambre des parents, son papa qui a recommencé à fumer, et les affaires de sa sœur qui disparaissent les unes après les autres, ses chaussures, son rond de serviette, et son flacon de parfum que Lou ira racheter en douce pour tenter de retrouver son odeur. La fillette note également tout ce qui a changé, l’espace soudain agrandi de la chambre qu’elle partageait avec sa soeur, mais aussi les silences assourdissants. Le prénom d’Elisabeth, qu’on ne prononce plus jamais en sa présence et le mot catastrophe qu’on aurait dû dire pour l’aider à matérialiser « l’effroyable événement ». Les lignes défilent et les larmes que Lou ne verse pas, coulent sur nos joues à nous. L’horreur s’invite partout : dans la voix d’Éli qui met moins d’un an à s’effacer de la mémoire de Lou comme dans les mots doux que la cadette écrit sur le miroir alors qu’elle voudrait tout casser. « Enfance et résignation ne sont pas compatibles ». Alors Lou lutte à sa façon contre la violence qui l’étouffe. Pour la faire taire, elle s’inflige, telles des giffles, d’épuisantes séries de « croix-barré », s’obligeant à écraser et à barrer mentalement le moindre détail de la vie, et toutes les mauvaises pensées qui l’assaillent. A travers cette petite fille qui perd pied, Marie-Claude Vincent décrit l’indicible chagrin du deuil avec une justesse rare. Comme sa sœur, Lou se noie, sous les défis absurdes qu’elle s’impose. Boitiller du matin au soir, demander l’heure à un clochard, porter son pull à l’envers : ces gestes ont pour elle une nécessité vitale. Si Lou ne les fait pas, Éli ne reviendra pas. Ces folies enfantines, ces tentatives désespérées pour ressusciter celle qui est partie à tout jamais résonnent comme d’insoutenables cris de détresse. L’émotion se loge à chaque page. Marie-Claude Vincent signe un texte bouleversant. |
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