Prix Goncourt 2012 pour « Le Sermon sur la chute de Rome », Jérôme Ferrari publie un roman corse sur la mort, la violence et les rapports entre photographie et réalité. Une nouvelle fois, le lecteur est envoûté par l’écriture et la construction narrative brillantes.
Mon Antonia
Antonia, photographe corse, meurt dans un accident de voiture. C’est son parrain, prêtre de son état, qui se charge de célébrer ses obsèques, entre douleur et réminiscences. Tout au long de la liturgie funéraire, la destinée de la jeune femme défile, indissociable de sa passion pour la photographie. Ses premiers clichés : sa famille, ses amis et son premier amour pour un beau et ténébreux membre du mouvement nationaliste corse. A l’inquiétude de le voir emprisonné ou assassiné, s’ajoute dans la vie d’Antonia une immense frustration : au journal local qui l’emploie, elle s’ennuie profondément à photographier les fêtes et inaugurations en tout genre. Elle veut de l’action mais réalise qu’elle n’est pas sur le bon terrain quand elle découvre l’envers du décor du FLNC : conférences de presse grand-guignolesques et batailles d’ego sanglantes. Dégoûtée, elle ira chercher sa vraie guerre en Yougoslavie.
L’image tue deux fois
L’œil de l’héroïne a d’abord capturé le terrorisme corse, simulacre de guerre juste, puis la guerre des Balkans, attisée par d’autres nationalismes. Le roman interroge ainsi l’authenticité et le message de la photographie de guerre. La violence dupliquée par l’objectif du photoreporter l’est ensuite par le regard indifférent, au mieux indigné des lecteurs, des spectateurs, des voyeurs. Si immortaliser les morts est un non-sens, alors seule la vie vaudrait d’être photographiée, dans sa vérité nue, sans mise en scène ni artifice. La fabrication d’images est-elle compatible avec la vérité ? La question anthropologique, qui vaut aussi pour le roman, est réduite au silence le temps de la liturgie de la Parole, du requiem pour l’absente.