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coup de coeur
A quoi pense Ada ?
L’intérêt des ponts comme celui de l’Ascension, c’est qu’ils permettent aux blogueurs de faire une plongée dans les eaux profondes de leur PAL et de remonter à la surface des petits bijoux jamais explorés. Et quel est le trésor que j’ai exhumé de la plus grande fosse de la planète ? Retrouvez Lucia-Lilas sur Lireaulit « Au fond, tu n’es qu’un robinet à clichés. »
Ada et moi ça a mal commencé. Déjà , je ne parvenais pas à comprendre pourquoi un petit policier à la carrière plutôt décousue, arrivé à la cinquantaine et pas mal réac sur les bords était chargé de la disparition d’une intelligence artificielle d’une boite en vue de Palo Alto. Ensuite pendant les soixante premières pages c’était l’ennui sévère. Est-ce que ça va commencer un jour ? me disais-je en relisant les billets de élogieux et en me demandant si je faisais un blocage sur Bello ou quoi. Peut-on avoir deux lectures aux antipodes d’un même roman ? – on peut, mais il fallait ici juste un peu de patience (qualité dont je ferais volontiers l’acquisition, votre prix serait le mien); Endurons, donc, les pages insipides sur le Baseball ou les haïkus, ou l’exposition de tout ce qu’on sait déjà (les lois d’Asimov ou l’histoire d’Alan Turing) et ne doutons pas qu’elles aient leur utilité (mais quand même : c’est longuet). Et puis le miracle du rire : la page 79, dont je ne peux rien révéler, lance véritablement le plaisir (c’est vraiment vraiment drôle), et j’ai alors accepté le principe de la pochade. Car rien n’est véritablement sérieux dans ce roman où l’exagération, le « recours intempestif et parfois incongru au registre argotique » (je cite), « le style effroyablement quelconque » (je cite toujours) et les nombreux côtés caricaturaux sont voulus, décidés, assumés : ils ont leur sens; dont ne saura rien avant les deux dernières pages, qui nous font reconsidérer ce qu’on vient de lire et qui, si on est un lecteur honnête (c’est-à -dire pas un blogueur d’après la page 323*), nous font reposer le roman avec un sourire sinon ravi, du moins satisfait. Entre-temps, Ada et sa mission nous auront décortiqué le monde de la romance littéraire et projeté quelques extrapolations inquiétantes quant aux IA, entre autres. *« Je croyais que l’intérêt de tenir un blog consistait à exprimer son point de vue. – Non, l’intérêt d’un blog consiste à présenter au reste du monde une version idéalisée de soi-même : on encense des livres qu’on n’a pas lus, on relaie des pétitions qu’on ne signe pas, on dénonce le racisme alors qu’on change de trottoir pour ne pas croiser un Noir en capuche.«
coup de coeur
Antoine Bello est-il une intelligence artificielle ?
A la lecture de ce nouvel opus d’Antoine Bello, une question s’insinue petit à petit dans l’esprit du lecteur qui se demande au fur et à mesure s’il est vraiment en train de lire un roman d’Antoine Bello. Qu’est-ce que c’est que style bizarroïde qui pointe le bout de son clavier de-ci de-là ? Qu’est-ce que c’est que cet objet littéraire un peu disparate ? Et puis, la lumière devant se faire, la lumière se fait et le lecteur, j’ose espérer majoritairement plus percutant que Franck, l’inspecteur en charge de l’enquête sur la disparition d’Ada, l’AI (intelligence artificielle) créée par l’entreprise Turing Inc. et chargée d’écrire un roman à l’eau de rose qui se vendra à plus de 100.000 exemplaires, prend en fin de compte conscience qu’une fois de plus Antoine Bello s’est joué de lui. Antoine Bello oppose ici un esprit humain plutôt créatif et honnête en la personne de Franck Logan et un esprit informatique en posant tout un tas de questions toutes plus pertinentes les unes que les autres : qu’en est-il du processus créatif ? Du succès littéraire ? Sont-ils le produit de statistiques qui, si on ne retient, pour chaque aspect de le création littéraire, que la meilleure, assurent leur utilisateur d’un succès ? Sont-ils propres à l’apport créatif propre à chaque auteur, à chaque être humain, chacun dans son domaine, ces réflexions pouvant être appliquées à chaque domaine de la vie quotidienne ? Les AI ont-elles une conscience qui en ferait les égales de l’homme et serait à même de les doter d‘une âme ? La problématique n’étant pas tant, à mon sens, l’envahissement de notre société par les AI mais la perte induite de la valeur du langage et de la communication qui cimentent les relations et les sociétés. Voilà pour le fond qu’Antoine Bello ne perd jamais de vue et auquel il apporte ses propres interprétations. Pour ce qui est de la forme, là encore, Antoine Bello prend un malin plaisir à appliquer son système de statistiques à son propre récit pour jouer sur les codes, sur les genres, sur les nouveaux de langages, sur les sentiments, bref sur tous les ressors mis à disposition des auteurs pour leur permettre de rendre la copie voulue que ce soit sur le fond ou sur la forme, les deux étant évidemment intrinsèquement liées. Au final, on ne sait plus si ce livre est celui de Franck Logan (ou d’Antoine Bello, cela revient au même) ou d’Ada et les deux « articles » proposés à la fin du livre comme analyses du livre lui-même pour savoir par qui il a été rédigé ne livrent pas plus de clefs dans la mesure où le lecteur est amené à se demander si elles ne sont pas elle-mêmes rédigées par des AI, que ce soit celle allant dans le sens d’un livre rédigé par une AI ou celle allant plutôt dans le sens d’un livre écrit par un être humain. Antoine Bello s’amuse à tous les niveaux et notamment avec les noms. En plus de celui de l’AI, Ada, en référence à Ada Lovelace qui a réalisé le premier programme informatique, et de celui de l’entreprise qui l’a créée, Turing Inc., en référence à Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique, Antoine Bello propose deux personnages, secondaires mais représentatifs, répondants aux doux noms de Chuck Bronson et Gus Rijkaard… Bref, ce nouveau roman de la rentrée littéraire 2016 d’Antoine Bello enrichit encore l’œuvre d’un écrivain à la fois constamment joueur avec son lecteur et la forme de ses récits et se posant les interrogations essentielles et profondes imposées par la société dans laquelle il évolue. Le seul véritable « accroc » dans la bibliographie d’Antoine Bello reste à ce jour Mattéo qui ne proposait pas les mêmes ambitions sur le fond et détonnait un peu par rapport à des livres aussi forts que la série des falsificateurs ou plus récemment son « Roman américain ». |
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