Antonia, surnommée La Pistolera, fait partie des Brigades Rouges italiennes. Son surnom vient de ses actions pour les Brigades : tirer dans les jambes de leurs cibles. Lutte armée mais pas lutte à mort, Antonia fait partie de ces êtres humains capables d’un engagement total mais pas jusqu’au-boutiste dans une lutte aussi politique que sociologique, économique, autant morale que violente. En 1974, sous le feu des projecteurs de la police qui ressert les mailles de ses filets sur les membres des Brigades, Antonia décide de fuir. Ce verbe sera son leitmotiv, scandé inlassablement comme un mantra protecteur, rapidement rejoint par un second motto : vivre.
A partir de là, le destin d’Antonia va dramatiquement changer. Avec l’aide de la Congrégation dans laquelle son cousin Anselme officie, elle part en mission humanitaire en Ethiopie, pour y enseigner. Partie pour fuir son passé et son présent, Antonia se construit un futur : dans les bras de Jordi d’abord, autre exilé qui a fui le franquisme, au contact de la population défavorisée d’une Afrique Noire minée par les rivalités ethniques, entretenues voir attisées par les puissances occidentales au premier rang desquelles les Etats-Unis. Ces guerres ethniques provoqueront le départ d’Ethiopie d’Antonia et de la Congrégation, au début des années 80, vers le Rwanda. Là encore, les tensions ethniques rattraperont Antonia jusqu’au paroxysme tragique du début des années 1990.
Il y a beaucoup de choses dans ce roman. Il y a tout d’abord la trajectoire d’Antonia. Il y a ensuite la trame politico-sociétale rencontrée par Antonia à chaque point de chute, que ce soit en Italie avec les accointances entre le pouvoir en place et les groupuscules fascisants au détriment de la frange ouvrière du pays, que ce soit en Ethiopie ou au Rwanda, ou en Amérique Latine à travers des personnages secondaires, avec pour points communs les manipulations opérées par les pouvoirs en place (sur l’information, sur sa présentation et son détournement), toujours fomentées avec l’aide, l’appui ou la simple condescendance de puissances extérieurs (Etats-Unis pour l’Amérique Latine et l’Europe, la France au Rwanda, etc…). Toute la force du livre de Gildas Girodeau est de parvenir à éclairer le lecteur sur ces sujets avec le recul nécessaire pour ne pas prendre parti à la place du lecteur et faire son « exposé » le plus clairement et le plus simplement possible.
Il y a donc aussi Antonia, au milieu de tout cela. Personnage central du livre, Gildas Girodeau, plutôt que d’en faire une passionaria atteinte de folie idéologique et meurtrière, en fait une victime autant qu’une coupable. Antonia, dans sa fuite, ne part à la recherche d’aucune rédemption parce qu’elle ne regrette pas son passé. Elle est simplement contrainte d’en changer. C’est ce changement qui favorisera par contre son évolution personnelle : son combat reste le même, seules ses méthodes changent ; elle abandonne la lutte armée pour une lutte intellectuelle, basée sur l’éducation de plus faibles pour leur donner les moyens de lutter eux-mêmes. A travers le personnage d’Antonia, Gildas Girodeau nous interroge sur le fait de savoir si, finalement, la fin justifie ou non les moyens. Antonia se pose la question discrètement, indirectement tout au long du livre, se remettant en cause constamment au contact des autres personnes qu’elle croise à chaque étape et le lecteur pourra se faire une idée lui-même à ce sujet à travers le destin d’Antonia, lié à tout jamais au sort des plus démunis, des laissés pour compte, des défavorisés, des minorités.
Gildas Girodeau, à travers une écriture limpide et lumineuse, braque le faisceau de son style sur une partie du tableau des manigances politiciennes qui sous-tendent le monde géopolitique depuis des décennies, sans que rien n’ait vraiment jamais changé, sans que l’humanité dans son ensemble n’ait rien appris de ses errements passés.
Cet « Antonia » est un livre magnifique par sa puissance évocatrice, par l’humanité qui s’en dégage malgré tout, par son utilité éducatrice, par la beauté de son écriture aussi tout simplement. Un grand coup de cœur de ce premier semestre 2015 !
Une relation facebookienne a posté ceci récemment qui correspond assez bien à l’impression laissée par « Antonia » (Dieu que j’aimerai parfois arriver à m’exprimer aussi intelligemment) :
Ai adoré ces mots hier soir sur le trottoir de Charybde du critique littéraire d’un grand quotidien : « Le plus intéressant en parlant d’une œuvre, c’est quand même d’essayer de dégager la simplicité dans l’apparemment complexe et de montrer la profondeur du travail dans l’apparemment simple… » (en substance).