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Après la guerre
Hervé Le Corre
Rivages
mars 2014
523 p. 19,90 €
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La rédaction l'a lu
Difficile de trouver plus envoûtant
Difficile de trouver plus noir et plus envoûtant que le nouveau roman d’Hervé le Corre. « Après la guerre » raconte l’histoire d’une vengeance qui tourne mal au début des années cinquante à Bordeaux. Avant la guerre, les deux principaux protagonistes du livre étaient amis, mais l’un d’eux, le commissaire Albert Darlac, a peut-être provoqué la déportation de son ami André et de l’épouse juive de celui-ci. Si la femme a été gazée, l’homme en a miraculeusement réchappé. Du coup André revient à Bordeaux pour régler ses comptes. Autour de lui, mais aussi près de Darlac, flic pourri et ancien collabo, les cadavres commencent à s’accumuler. L’épuration est peut-être terminée, mais tout le monde n’a pas payé…
La situation se complique quand entre en scène Daniel, le fils des deux déportés. Le jeune homme qui a été élevé par des amis de ses parents disparus doit partir en Algérie où une autre guerre a déjà commencé. Et devenir aussi un « meurtrier », même s’il a l’excuse d’être soldat. Après avoir tué, Daniel décide d’abandonner un combat qu’il devine inutile et de déserter, aidé par un réseau communiste. Il retrouvera son père et échappera peut-être à la curée finale, avant le surprenant dénouement qu’Hervé le Corre a imaginé.
« Après la guerre » impressionne par la richesse et la profondeur de son écriture. La trame, ténue en somme, ressemble à celle d’un drame ou d’un opéra shakespearien ou wagnérien, mais Hervé le Corre lui donne une épaisseur par les mots et ses phrases. Ne reculant devant aucun sacrifice, comme d’user, pour donner de l’ampleur et bien représenter les situations, de phrases qui comportent trois « et ». Les opérations en Algérie notamment sont aussi excellemment rapportées, comme si l’écrivain y avait participé. Mais également le comportement des personnages, comme celui, plus qu’ambigu, du commissaire Darlac, dont les crimes pourraient rester impunis, si le destin ne s’en mêlait pas.
Ce roman, qui ne déparerait aucune collection de littérature « sérieuse », fait quelque part songer au « Ainsi soit-il » de Maurice Raphaël, super opus noir et désespéré. Après l’échec de ce livre un peu mythique, cet écrivain né à Toulon en 1918 dut se reconvertir dans la Série noire sous le nom d’Ange Bastiani, sans recevoir meilleur accueil. « Après la guerre » rappelle aussi les premiers écrits tourmentés de Louis Calaferte. Sans conteste, Hervé le Corre est devenu avec ce livre-document un maître du polar à la française. En peignant superbement toute une époque, sans oublier la ville de Bordeaux moins clean qu’il n’y paraît, il fait exploser les barrières du genre pour rejoindre l’universel.
Les internautes l'ont lu
La guerre après la guerre
Pour ceux qui ne le savent pas encore, Hervé Le Corre est un des écrivains majeurs de la littérature noire. Noire ou blanche, d’ailleurs, cela ne devrait pas faire de différence. C’est bien de littérature qu’il s’agit. Et d’écriture. Celle de Le Corre est flamboyante, passant de l’évocation poétique des lieux, des atmosphères, des paysages, à la description minutieuse des tortures les plus cruelles, violentes, sanglantes avec une virtuosité sans pareille ; passant du lyrisme de l’indignation à la description froidement objective de la décomposition du monde dans lequel nous vivons. « Après la guerre » son dernier livre, se situe à Bordeaux, dans les années cinquante. Un Bordeaux que ne reconnaîtrait pas le visiteur contemporain – des immeubles noircis à la suie, des rues mal pavées, un éclairage jaune qui peine à percer le crachin qui colle à la ville, un port encore en activité, avec ses cargos, ses grues, ses quais peuplés de marins en goguette et de dockers. Une ville où les secrets sont soigneusement gardés derrière les façades austères des maisons bourgeoises, une ville où le commerce prime sur toute autre réalité – et peu importent les moyens pourvu que les affaires continuent de marcher. Ce fut le cas, pendant la deuxième guerre mondiale – Bordeaux, à l’image de son maire, Adrien Marquet, ne fit pas un mauvais accueil à l’occupant, fit même du zèle quand il fallut appliquer la politique anti-juive de Vichy – un certain Papon s’y illustra. La police bordelaise, dans son ensemble, rafla, tortura, noyauta les groupes de résistants. L’étrange est que tout cela fut vite, très vite oublié et que le venue de Chaban Delmas permit de recycler tout ce joli monde et de lui refaire une virginité résistante. C’est dans ce cadre que revient Jean Delbos. Il est bien un revenant, un fantôme que tout le monde croyait disparu dans les camps de la mort. Il vient pour se venger de Darlac, le commissaire tout-puissant, qu’il croyait son ami, et qui l’a trahi. Des proches de Darlac sont assassinés, sa fille est menacée, sa maison surveillée. Le premier choc passé, Darlac passe à l’offensive et finit par identifier et traquer Delbos. Parallèlement à cette intrigue, l’autre personnage clé du livre, Daniel, le fils de Jean, part faire son service militaire en Algérie. Autre contexte, autre atmosphère, mais même violences, mêmes tortures, même bestialité de la plupart des protagonistes. Daniel éprouve une véritable fascination pour le pouvoir que confère la possession d’une arme et l’habileté à s’en servir – mais lorsqu’il mettra un visage sur la forme abstraite qu’il a visée et tuée, une longue évolution l’amènera à déserter et à revenir en France, à Bordeaux. A Bordeaux où il retrouvera son père dans un final que je laisse au lecteur le soin de découvrir. La vision du monde de Le Corre est désespérée. Les seuls personnages positifs sont ces militants communistes dont la richesse humaine compense l’échec politique qui fut le leur. Ou encore Giovanni qui déteste cette guerre coloniale qui ne dit pas son nom et qui ne rêve que de quitter l’Algérie où pourtant il mourra. L’amour ouvre une éclaircie dans toutes ces ténèbres mais il est trop fragile pour faire oublier ces femmes humiliées, trahies, violées qui hantent ce roman de leur tragique beauté. « Après la guerre » est le sixième ou septième roman de Le Corre. Il a commencé par publier trois séries noires, « La douleur des morts », »Du sable dans la bouche » et « Les Effarés ». Puis, chez Rivages, « L’homme aux lèvres de saphir », « Derniers retranchements » et « Les Coeurs déchiquetés ». On est vraiment en présence d’une oeuvre cohérente à l’écriture puissante – il est temps qu’elle soit pleinement reconnue.
Retrouvez Patrick Rödel sur son blog
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