C’est un beau livre que celui que Philippe Besson vient de publier chez Julliard. Une évocation des amours adolescentes pleine de sensibilité servie par une écriture qui sait allier retenue et violence. Très largement autobiographique, sans doute, mais cela importe peu. Le personnage narrateur est un auteur qui a réussi et qui côtoie des gens d’importance, comme on dit. Il a souvent parlé, paraît-il, de son homosexualité, dans ses livres et dans les interviews qu’il donne – mais je n’en savais rien, c’est le premier livre de lui que je lis et je n’ai pas la télé -. Dans le hall d’un hôtel, une silhouette lui rappelle son premier amour, perdu de vue depuis des années ; il se précipite.
Retour en arrière pour raconter ce que fut son enfance, dans une petite ville de province ; très vite conscient de son attirance pour les garçons, il se concentre sur ses études pour obéir aux injonctions de réussite de son père, jusqu’à ce qu’il rencontre Thomas, un garçon d’une autre classe dont la beauté ténébreuse le fascine mais qui lui semble inaccessible. C’est Thomas qui fait le premier pas.
L’important n’est pas tant le récit de leurs amours que celui d’une difficulté que l’un et l’autre ont à mettre un mot sur ce qui les unit – le narrateur, par retenue, maladresse, peur de perdre par un mot déplacé ce garçon taiseux, souci de pas paraître sentimental, souci aussi de son image – Thomas parce qu’il sait qu’il n’appartient pas au même monde que Philippe, qu’il devine que l’avenir qui lui est réservé – les études, le succès – ne colle pas avec le sien, fils de petit paysan qui devra reprendre l’exploitation familiale. Ce qui va signer l’échec de leur amour, c’est une différence de classe – l’un aura accès à un monde où l’homosexualité n’est pas tabou ; l’autre restera dans un environnement qui ne peut même pas envisager que cela puisse exister. Rien de cela ne parvient à la conscience claire de Philippe, il se croit abandonné, il est jaloux, en même temps il est incapable de faire un geste pour retrouver Thomas.
Le narrateur, après son succès au bac, poursuit ses études en prépa ; Thomas est parti en Espagne. Ils ne se reverront jamais.
Sauf, dans ce hall d’hôtel, trente ans plus tard. Mais ce n’est pas Thomas, c’est son fils. La ressemblance est si frappante qu’il n’y a pas de doute possible. Un dialogue très étrange s’instaure entre Lucas et celui qu’il sait avoir été un ami de son père, chacun essaie d’en savoir un peu plus sur ce que l’autre est prêt à lui dire. Lucas donne le numéro de téléphone de son père. Philippe ne l’appellera pas.
Quelques années plus tard, c’est Lucas qui demande à voir Philippe. C’est pour lui apprendre que son père s’est pendu, qu’il avait divorcé peu de temps après que Lucas et Philippe se furent rencontrés, qu’il avait disparu et qu’il est revenu au pays pour y mourir. Lucas a compris quel amour existait entre son père et Thomas ; et il lui donne une lettre que Thomas n’avait jamais eu le courage d’envoyer dans laquelle il avouait l’intensité de l’amour qu’il avait éprouvé pour Philippe.
Nulle doute que cette dernière partie fera pleurer dans les chaumières. Malgré les efforts de retenue du narrateur et le jeu dont il essaie de sortir, mais sans y parvenir tout à fait, et qui consiste à passer sans arrêt de la fonction d’écrivain qui fait oeuvre d’imagination à la position de celui qui voudrait dire simplement la vérité de ce qu’il fut et de ce qui eut lieu. Et c’est difficile de ne pas céder à la complaisance, au plaisir apitoyé de s’émouvoir sur soi – de ne pas faire des phrases, et de jolies phrases – quand l’autre en a si peu fait et a donné, par des actes, le sens même de sa passion. C’est encore en écrivain qu’il tire parti de cette histoire, quand bien même il se dédouane en obtenant l’absolution de Lucas, quand bien même ce livre peut être lu comme un tombeau à la mémoire de cet amour à côté duquel, finalement, il sera passé.