Attention : gros coup de cœur pour ce roman qui tient à la fois du genre policier et de la critique sociale.
Yvan Gourlet, seize ans, adolescent très mal dans sa peau, est le narrateur de l’histoire.
Il faut dire qu’à Montespieux-sur-la-Dourde, petite ville tristounette à une demi-heure de Lille, entre un père ouvrier chez Boulonex qui « cherche l’ivresse pour oublier la grisaille », puis urine sous le lampadaire avant de rentrer chez lui et une mère passionnée par la confection de sculptures d’animaux dans des mottes de beurre (oui, oui, vous avez bien lu !) et par sa collection d’étiquettes de boîtes de camembert (la tyrosémiophilie… j’ai appris un mot !), la vie n’est pas bien folichonne.
Et puis, le beurre, après, il faut le manger et les camemberts aussi, alors, évidemment, Yvan n’a pas une taille de guêpe ! Et en plus, il est laid. « Depuis le début on se fout de mon nez, qui est trop long, et de mes jambes, qui sont tordues, et de mon ventre, qui est gros, et de mes cheveux, qui sont trop roux, et de moi, qui ne parle jamais. On me regarde avec dégoût. Plus tard, en plus du regard, il y a eu les mots. Ensuite, en plus des regards et des mots, il y a eu les coups. »
Pas de copains, pas de petite amie, juste une mère aimante, voire étouffante, qui lui répète à longueur de journée qu’il est le plus intelligent du monde et qu’il a des dons qui ne cherchent qu’à s’exprimer… Il faut simplement être patient … Mais Yvan en doute.
Alors pour faire plaisir à sa mère, il fouille les poubelles pour trouver des boîtes de camembert et il mange les tartines de beurre qu’elle lui propose.
Bref, une adolescence plutôt morne et solitaire…
D’ailleurs, son frère aîné l’a prévenu : pars le plus vite possible, tu vas devenir fou dans ce trou. « Il faut que tu fasses comme moi, Yvan, lui conseille-t-il, trouve-toi vite un travail, et dégage de là, sinon tu vas finir comme eux, enfermé sur toi-même. C’est un conseil que je te donne, si tu veux continuer de les aimer, éloigne-toi de papa et maman, sinon tu vas finir par les haïr. Loin des yeux, c’est ce qu’il faut, pour ne pas en vouloir à ceux avec qui on a vécu. »
Mais Yvan reste et continue d’être moqué, harcelé, frappé par les gamins du quartier.
Un bouc émissaire idéal : « J’ai attiré très jeune la haine, le mépris, l’aversion, tous les ingrédients de la passion inversée. » Auprès de ses parents, il se sent protégé et n’a pas envie de quitter ceux qui sont finalement son seul soutien.
Or, un soir, un camion de police se gare devant la maison et la vie d’Yvan va basculer…
Évidemment, je ne vous en dirai pas plus, suspense oblige…
Si vous connaissez les films de Bruno Dumont qui dénoncent la misère sociale et culturelle, alors vous y êtes. C’est bien noir, bien glauque. D’une espèce de huis clos familial étouffant et totalement déprimant, on sombre petit à petit dans un enfer où la justice est un vrai cauchemar kafkaïen. Le tout nous serre la gorge et l’on se demande où cette sinistre affaire va nous mener et, je l’avoue, on n’est pas au bout de nos surprises…
Ce récit à la première personne, second roman de l’auteur après Ressources inhumaines, nous fait suivre de près les mécanismes psychologiques d’Yvan : c’est passionnant et parfaitement maîtrisé.
Noir à souhait, machiavélique et glaçant !
Un régal !
Retrouvez lucia-lilas sur son blog