Dans « Nullarbor », prix Nicolas Bouvier 2007, David Fauquemberg nous emmenait sur les terres aborigènes australiennes. Avec « Bluff », on repart au bout du monde, à la pointe la plus australe de la Nouvelle-Zélande où s’ancre ce roman marin.
Etranger au bout du monde
On ne connaîtra jamais son nom, il reste l’étranger ; lorsqu’il pousse la porte de l’Anchorage Café, dans la ville portuaire de Bluff, le Français arrive au terme d’un long voyage. Très vite, il est embauché par Rongo Walker, propriétaire maori d’un bateau de pêche qui s’apprête à appareiller pour la saison de la langouste. Taiseux et travailleur, le Français tient sa place sur le caseyeur Toroa où il fait équipe avec Tamatoa, un Tahitien loyal et fort. Ici comme ailleurs, la pêche est devenue difficile. A cause de l’exploitation intensive et du dépeuplement des océans, il faut parcourir de plus grandes distances et prendre davantage de risques. Cette fois, les casiers remontent désespérément vides, une mauvaise pêche qui menace l’avenir du Toroa. Alors Rongo Walker décide de s’aventurer plus loin malgré une tempête qui s’annonce. Par imprudence, erreur de jugement et orgueil, le capitaine met en péril ses hommes et son navire.
Dans la tempête
C’est une bataille épique qui s’engage entre les éléments déchaînés et le bateau de pêche luttant contre le naufrage. Reprenant le motif littéraire de la tempête en mer récurrent depuis l’Antiquité, l’auteur se montre le digne héritier de Conrad ou de Melville. C’est un moment de vérité où les hommes se révèlent, en même temps qu’une leçon d’humilité à laquelle font écho les légendes océaniennes qui accompagnent le récit ; on y entend le navigateur qui s’orientait grâce aux étoiles, le poète chaudronnier ou encore l’homme célèbre pour avoir pêché un marlin bleu géant. Respectueux des traditions, le vieux Walker déplore que les jeunes Maoris se détournent de leur culture, corrompus par l’alcool, la drogue et le désir d’exil. Voilà comment ce roman puissant est aussi empreint d’une mélancolie inhérente à la fin d’un monde où l’étranger, ayant acquis la confiance des hommes qui le peuplent, se montre digne de recueillir une parole ancestrale et de perpétuer la tradition du récit de voyage.