Voici un premier roman qui, l’air de ne pas y toucher, tape dans le mille. Sous le couvert d’une trame romanesque simple et linéaire, Marion Guillot interroge le sens d’une vie, ou plutôt son non-sens, à travers le regard d’un anti-héros contemporain. Un roman troublant…
Paul Dubois est professeur de lycée ; il vit à Lorient avec sa femme et leurs deux enfants. Un jour de rentrée scolaire, un incident incongru se produit sous ses yeux : une femme trébuche et tombe accidentellement dans le port. Rien de grave, sauf que chez Paul, cette chute déclenche une crise existentielle. Sa vie lui paraît brusquement inepte : sa famille, son métier, il décide de tout quitter. Il entasse ses affaires dans quelques boîtes à chaussures, fourre le tout dans sa voiture et s’en va : à lui la liberté ! Le voyage prend fin à Nantes, 170 kilomètres plus au sud, où vit Rodolphe, son ami le plus ancien. Au bout d’une semaine, il est installé dans un deux-pièces pourvu d’une salle de bain avec baignoire et velux. Il s’achète un poisson rouge qu’il appelle Henri, et fait la connaissance de Simon, le menuisier qui lui livre un évier. C’est donc un nouveau départ, dans un nouveau cadre de vie… Mais quel tableau mettre dans le cadre ? C’est bien là toute la question de ce roman pénétrant et déstabilisant. A l’instar de Paul Dubois, qui n’a pas eu un jour le désir de tailler la route ? Mais cette normalité apparente est contrebalancée par un enfermement progressif qui devient de plus en plus étouffant et angoissant. Personnage dont on pourrait rire s’il ne nous ressemblait un peu, Paul Dubois chavire et nous force, sinon à l’empathie, du moins à la réflexion.
Marion Guillot réussit à faire « un livre sur rien », comme écrivait Flaubert, dans lequel son sujet est soluble dans le néant. En injectant une goutte d’acide dans les thèmes traditionnels du roman, elle crée les conditions d’un nouveau réalisme où évoluent ses personnages. Les conclusions sont laissées à notre approbation : on peut trouver l’expérience enfantine, morbide ou intelligente, trois adjectifs qui, incidemment, qualifient l’humour d’Aude, la femme de Paul Dubois, dont on ne dévoilera pas ici le métier…