Voici un premier roman étonnant, poétique et sensoriel, une histoire d’amitié entre un homme cabossé et un chien borgne, qui commence dans le Donegal et se poursuit comme un road trip.
Le narrateur, 57 ans, traîne un physique d’« homme-rocher », une solitude immense et une réputation d’être étrange et asocial dans la petite ville côtière irlandaise où il vit depuis toujours, dans la maison de son père. Attiré par une petite annonce, il adopte un ratier borgne qu’il baptise One Eye. Dès lors, ce compagnon change son existence terne et sans relief. Un de ses nouveaux plaisirs est de l’emmener en balade sur la plage, en prenant soin d’éviter tout contact avec les autres promeneurs. Un jour pourtant, c’est l’incident : One Eye attaque le chien d’un enfant et les autorités menacent de le piquer. Pris de panique, son maître remplit la voiture de provisions, ferme sa maison et embarque son chien pour un périple de plusieurs mois à l’intérieur des terres, loin du danger.
C’est le début d’une vie itinérante et d’une liberté inédite mais terrifiante. N’empruntant que les routes secondaires, notre fuyard s’arrête le soir pour dormir à la lisière d’un bois ou d’un champ, achetant dans les épiceries de village son tabac et la nourriture en boîte qu’il partage avec son chien. En cavale, il baisse pourtant la garde, se laisse aller à la contemplation de la faune et de la flore, des changements de saisons, tout en faisant par bribes le récit de son enfance malheureuse et du lourd secret qui le rattrape. Sara Baume, avec sa prose terrienne, sensorielle et sensuelle, se rapproche en cercles concentriques du cœur de son personnage taiseux pour nous livrer une réalité macabre qui le hante. C’est une ode à la liberté qui n’est ni mièvre ni naïve, derrière laquelle se cache l’impossibilité d’échapper à sa responsabilité et de se délivrer soi-même.