Un soir, entre deux trajets professionnels, je suis entrée dans la librairie toute éclairée pour écouter Laurent Mauvignier parler de ce roman.
Il a une voix douce mais ferme, il parle avec des mots simples, avec lui l’écriture n’est pas quelque chose de compliqué ni d’inaccessible.
Il parle de son choix d’aborder ce sujet difficile qu’est la guerre d’Algérie, à cause des blessures encore fraîches dans la mémoire collective. Il parle de son père qui n’en parlait pas justement.
Il dit que ce n’est pas un livre sur la guerre d’Algérie, que c’est juste un roman, une histoire, avec des personnages inventés. Il dit qu’il a quand même fait beaucoup de recherches, visionné des documentaires, regardé des photos de « là-bas ».
Il dit que lui, ce qu’il voulait, c’est essayer de comprendre « comment les choses durent après qu’elles sont finies »
« Il était plus d’une heure moins le quart de l’après midi et il a été surpris que tous les regards ne lui tombent pas dessus, qu’on ne montre pas d’étonnement parce que lui aussi avait fait des efforts, qu’il portait une veste et un pantalon assortis, une chemise blanche et l’une de ces cravates en Skaï comme il s’en faisait il y a vingt ans et qu’on trouve encore dans les solderies. »
Cet incipit est caractéristique de ce roman, des phrases longues, voire très longues, emmêlées, saccadées. des phrases qui donnent une idée de la rumination mentale de ces hommes, coincés dans leur tête par le souvenir des horreurs vues ou commises.
Ce roman parle de la douleur du silence imposé. Imposé par soi-même, parce qu’on voit bien que ce n’est pas possible de parler de ça, ici, chez nous, devant les vieux parents ou les voisins.
« ça » c’est la guerre d’Algérie, une guerre qui n’en est pas une, et puis si, quand même. Ce roman parle de ces jeunes, partis puis revenus, en apparence les mêmes, deux ans, qu’est-ce que c’est deux ans? Et pourtant dedans tout est foutu. Malgré tout, ils vont vivre, enfin, essayer de vivre normalement, tenter de se refaire une vie. Mais les coutures finissent par craquer…
J’ai beaucoup aimé ce livre malgré les 40 premières pages un peu confuses.
Une écriture surprenante au service de personnages démolis intérieurement, démunis devant le poids de cette impossibilité à dire.
Un roman difficile, qui ne se laisse pas lire avec légèreté, qui oblige à réfléchir.
Une histoire dont l’écho va longtemps résonner en moi.