En croisant une de ces femmes qui font la manche dans le métro ou qui n’en ont même plus la force, on s ‘est tous demandé ce qui arriverait si on leur venait en aide, non pas par quelques piécettes, mais en les écoutant, en leur proposant des solutions. Anne, qui vient des beaux quartiers, est à sa joie de grand–mère toute neuve. Un jour, elle s’arrête devant une jeune femme enceinte dont on saura plus tard le nom, Destiny, et le pays d’origine, le Nigéria. Qu’a dû traverser celle-ci comme enfer, comme terres de haine et de mort pour arriver là, dans la chaleur et la saleté du métro parisien ? Anne n’en sait rien mais au fil des mois, des années qui s’écoulent, elle va nouer un lien avec cette Africaine rejetée de toute part, seule, sur le point d’accoucher et ne parlant pas le français. A elle les multiples démarches administratives, les coups de fils à « L’Aide Sociale à l’enfance », dans les hôpitaux, les hôtels sociaux pour trouver ici une chambre, là un petit travail ou encore des subventions. Petit à petit, Destiny va se confier : les viols, le voyage harassant, les enfants laissés au pays, l’arrivée en Italie où elle doit rembourser de son corps les passeurs. Toute une vie de misère et de refus successifs. Anne aimerait faire plus mais hésite: entre donner tout et ne donner rien, accueillir la jeune femme chez elle ou se contenter de rendez vous au café du coin, où doit-elle placer le curseur ? Destiny en outre n’est pas toujours facile à aimer, se mure souvent dans le mutisme, se trompe dans son récit, ment, la repousse parfois , se révolte contre ce qu’elle perçoit être une intrusion dans sa vie. Et c’est là toute la force de ce si beau texte de Pierrette Fleutiaux : aucun des personnages n’est réduit à un cliché, avec la bourgeoise au grand cœur d’un côté et la migrante qui a tout perdu de l’autre. Chacune apprivoise l’autre, essaye de comprendre un monde si différent du sien, teste aussi ses limites loin de la bien pensance occidentale. Anne n’a pu détourner le regard, quelque chose a bougé sur la partition de son quotidien, elle ressent une curiosité dévorante pour l’inconnue. Chacune d’elles sortira de cette relation transformée et apaisée. La lauréate du prix Femina aime les gens et cela se sent ; cette histoire, profondément humaniste, nous interroge sur la façon dont nous voyons les migrants, mais décrit aussi la manière dont eux nous perçoivent. Derrière les images et les clichés, à côté de l’indifférence ou du malaise que peut générer le spectacle de la misère , on découvre des êtres humains pas si différents de nous. Pour une fois, le mot d’essentiel n’est pas galvaudé.