Christian Garcin est un de mes auteurs contemporains favoris : iconoclaste, voyageur, curieux… Si vous ne le connaissez pas, lisez Le Vol du pigeon voyageur, roman qui nous embarque dans les aventures improbables d’un journaliste blasé. Mais commençons par Entrer dans des maisons inconnues, livre à la couverture irrésistible, dans lequel des écrivains sont croqués sur le vif, de Stendhal à Kafka, en passant par Emily Dickinson ou Pessoa, en une vingtaine de saynètes où le narrateur Christian Garcin côtoie ses auteurs fétiches le temps d’un café, d’une balade ou d’un fou rire.
C’est avec un plaisir contagieux que notre cicérone enfile ses habits de lecteur pour se glisser dans l’intimité de ses auteurs de chevet. Il se retrouve ainsi à Téhéran dans les années 1940 ou dans le Paris de l’entre-deux-guerres ; invité à la bonne franquette chez Apollinaire, embarqué sur le même navire que Joseph Conrad, en cours de gymnastique avec le jeune Mishima, autant de vignettes imaginaires qui éclairent une personnalité littéraire. Drôles, émouvants, surprenants, ces instantanés résonnent de dialogues fictifs savoureux qui témoignent d’une fréquentation assidue des écrivains mis en scène. Ainsi, on vagabonde d’anecdotes en pépites, l’occasion soi-même de retrouver un auteur aimé ou d’en découvrir d’autres avec émerveillement (comment ai-je pu ignorer l’existence de Felisberto Hernandez, l’un des plus grands auteurs sud-américains ?!). Christian Garcin retrouve dans cet exercice ses accents de conteur de génie, et emprunte à la peinture flamande ses procédés de mise en abyme et d’observation par l’entrebâillement d’une porte ou à travers un miroir, moments furtifs et magnifiquement suspendus où les écrivains apparaissent avec leur inévitable part de mystère.
« Entrer dans des maisons inconnues », c’est ce que nous faisons tous quand nous ouvrons un livre. On peut s’y sentir à l’aise et en partir à regret, ou vouloir s’enfuir tout de suite en claquant la porte. Christian Garcin, lui, nous accueille dans sa bibliothèque pour nous faire partager la connivence et l’admiration qu’il ressent envers ses pairs, sans grandiloquence aucune mais avec une générosité et un naturel réjouissants.