Et j'abattrai l'arrogance des tyrans
Marie-Fleur Albecker

FORGES VULCAIN
roman
août 2018
250 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche o n  l  a  r e l u

Tyrannosaurus Rex Anglicana

Comment être dithyrambique sans sonner faux ? sans paraître flagorneur ? C’est tout le challenge de ce billet.

Un point de départ de Marie-Fleur Albecker, dont c’est le premier roman particulièrement maîtrisé, et plusieurs lignes d’arrivée ! A partir de la révolte des paysans anglais de 1381 qui refusent de payer un nouvel impôt levé par le roi, Marie-Fleur Albecker déploie deux trames de lecture.

Une première trame se concentre sur l’Angleterre de cette fin de XIV° siècle, une seconde trame vient se superposer à la première pour offrir au lecteur une vision contemporaine et moderne de ce récit en faisant de nombreux et constants liens entre les deux époques. Tous les thèmes sont donc abordés sous l’angle médiéval et l’angle moderne. Et c’est aussi passionnant que drôle et édifiant. L’esprit moderne fait que des événements forts proches les uns des autres apparaissent naturellement comme logiques aujourd’hui (ou inacceptables) et inacceptables (ou logiques) au Moyen-Âge. Le récit de Marie-Fleur Albecker remet tout cela en perspective pour que notre lecture des événements soit la même quel que soit l’époque.

Je ne vais pas vous faire une liste exhaustive de ces liaisons qui sont tout sauf dangereuses entre passé et présent. Mais finalement, la révolte des paysans anglais face à un impôt jugé injuste parce qu’il ne concerne que les paysans et pas les notables de la société anglaise n’est ni plus ni moins que la révolte de n’importe qui face à une injustice fiscale liée aux évasions fiscales dont profitent les grand(e)s patron(e)s d’industrie de nos jours.

Si l’auteur attire plus souvent qu’à notre tour notre attention sur ce qui diffère entre les deux époques selon nos critères modernes d’analyse alors qu’elles restent proches l’un de l’autre, elle souligne aussi parfois ce qui n’a pas changé en presque sept siècles… Son héroïne, Johanna, est une femme « bizarre » pour son époque (elle suit les hommes dans leur marche de protestation sur Londres, elle demande justice suite à son viol par celui que la justice lui attribuera comme sentence en qualité de mari, etc…) : elle est à la limite de se faire qualifier de sorcière… tout comme aujourd’hui une femme qui s’habille « un peu trop légèrement » sera à deux doigts (ceux qui servent à siffler pour certains) de se faire traiter de salope. Ces deux équations se rapprochent par leur simplisme et la similitude des attitudes.

La force du roman de Marie-Fleur Albecker se situe dans ces liens incessants, étonnants parce qu’on n’y a pas soi-même réfléchis alors qu’ils semblent d’une limpidité biblique, entre passé et présent.

Parmi les nombreux thèmes abordés, il en est un qui prend une dimension toute particulière et qui tourne autour du personnage de Johanna et de ce qu’elle représente. La place de la figure féminine au Moyen-Âge et celle qu’elle occupe aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir et pourtant le combat reste toujours autant d’actualité 700 ans, ou presque, plus tard. Johanna est celle qui accepte d’être elle-même et pas ce que les autres veulent qu’elle soit. C’est celle qui porte un regard à la fois tendre et féroce sur les hommes, malgré tout.

L’injustice est aussi un des autres thèmes majeurs qui tient à cœur de l’auteur. La plus grosse injustice est l’injustice de classe, celle liée au statut social des personnes concernées. Ainsi, en parlant de la guerre des Roses, guerre de succession au trône anglais, Marie-Fleur Albecker écrit : « Enfin, rétablissons les choses : il va y avoir une guerre, et comme dans toute bonne guerre, en fait, ce sont plutôt les Anglais, de préférence de basse extraction, qui vont au charbon pour des types qui veulent être rois. CCent mille morts après la Grande Noire et la Guerre de Cent Ans, c’était pas rien à demander au bon peuple, alors même qu’il existerait une solution bien plus simple et qui traine dans les tiroirs des hommes de troupe depuis pas mal d’années : balancer les rois, princes, généraux et ministres dans une arène, en slip de bain et armés de bâtons. Et hop ! à qui restera le dernier debout, la victoire. En plus, la vente des billets pourrait rapporter de l’argent, car qui n’a jamais rêvé de voir un prince en slip ? ».

Cette injustice trouve son prolongement dans le simplisme évoqué plus haut. Cette notion est avancée par les « puissants » face à ceux qui arguent que ce ne sont pas ceux-là qui la font la guerre mais bien eux, les « petites gens ». Ils accusent les paysans d’avoir une vision trop simpliste de la vie en générale et de la guerre en particulier alors que « ce ne sont pas eux qui se cassent le dos à biner dans les champs ou à nettoyer nos chiottes ». Une fois de plus, le débat ne semble toujours pas clos sept siècles plus tard…

L’injustice, Johanna la prend de plein fouet après son viol et pourtant, tout au long du roman, elle n’aura de cesse de penser sa situation au regard de la notion de justice qu’elle pense pouvoir toujours trouver avant de se rendre compte que la justice des hommes à laquelle elle aspire n’est pas la justice des êtres humains mais bien celle d’un sexe face à un autre, pensé plus faible.

Si ce livre est un récit sur l’injustice, il n’en oublie pas moins son pendant la révolte aussi veine semble-t-elle être… car tout le monde connaît l’issue de la marche des paysans anglais au risque de penser qu’aucun succès du pot de terre contre le pot de fer n’est envisageable ! « Marcher sur Londres, marcher sur la capitale, car c’est là que se niche le pouvoir, car c’est ce que font toujours les révoltés quand leur colère ne peut s’éteindre avec deux-trois pillages. Marcher sur Paris, marcher sur Versailles pour aller chercher le boulanger, la boulangère et le petit mitron (et là ce sont les femmes qui ont marché, elles aussi le savent, voyez-vous !), marche du sel, marche pour les droits civiques de Washington, marche des femmes, combien de millions de kilomètres avalés et de chaussures bousillées pour qu’au bout du chemin, toujours, se dresse l’espoir sans cesse déçu, sans cesse trahi, des lendemains qui chantent ? »

Et tout cela est fait avec un brio d’une drôlerie parfaite ! Marie-Fleur Albecker parvient ainsi à lier fond et forme sans jamais ennuyer son lecteur une seule seconde.

Ainsi, Marie-Fleur Albecker évoque le Londres de cette année 1381. L’extrait suivant montre à quel point elle est drôle grâce notamment à la superposition de ses grilles de lectures médiévales et modernes.

« A part ça, pas que Londres soit non plus le centre ultra-branché de l’époque ; c’est même une ville de ploucs. Les métropoles, les lieux en vogue, là où il faut être, les hipsters de l’époque se mettent à porter des costumes courts et des collants (sexy !), les mecs qui tentent la perspective en mode Giotto, rien à voir avec Londres, Londres à l’époque c’est un bon gros bled (relativement quand même, imaginez ces Ecossais, à porter le kilt et se peinturlurer la figure en bleue genre Mel Gibson dans Braveheart). Non, le centre du monde (que Johanna ne connaît pas, mais dont elle a sans doute déjà entendu parler), c’est l’Italie, Milan Venise Naples Gênes, ou encore les Flandres, Gand Anvers Bruges, Flandres d’où vient la grand-mère du Roi Richard et mère de Jean de Gand mais le Roi d’Angleterre vise plus haut : Paris, la plus grande ville d’Europe (même Johanna en a eu vent, Paris c’est une fête). »

Là encore, elle a fait le lien entre passé et présent, elle remet les idées à leur place et les choses en perspective… son style est enlevé, touche juste en mélangeant des références contemporaines sur les événements médiévaux comme pour mieux nous les faire comprendre avec nos conceptions modernes.

« Voici venu le moment crucial qui sépare l’émeute de la révolte : on a cassé deux-trois pots, brisé des vitrines au coin de la rue et laissé quelques cadavres sur le carreau, ça fait la mesure pour un accès de colère comme il y en a d’ailleurs eu les années passées. Ça, c’est business as usual. Encore une manif avec trois-quatre éborgnés par les flics. » On ne sait plus si on est en 1381 ou à la dernière manifestation d’un premier mai un peu agité en France !

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