Virtuose du roman versé dans le genre policier et flirtant avec le fantastique, René Belletto nous offre ici un grand plaisir de lecture. Brouillage des identités, jeux narratifs, métadiscours, le tout au service d’une intrigue ayant ce livre-ci pour objet principal, où une histoire de femmes, de peinture et de mort est menée de main de maître.
Portrait du peintre en héros de roman
Miguel Padilla est un peintre qui ne peint plus depuis la mort de sa femme Dolorès, son unique amour et modèle. Il a aussi des velléités d’écriture contrecarrées par l’ennui et la peur : « se transformer en mots, entrer dans une phrase, c’était sortir de la vie, c’était mourir ». En l’espace de quelques jours, il rencontre fortuitement Armand Mallord, son double négatif, gardien de musée, peintre raté et véritable don juan, puis trois femmes qui vont changer sa vie : Irène, Nathalie et Marie. Il a une aventure avec la deuxième, ancienne amante de Mallord, la dernière ponctue l’histoire de sa présence évanescente, et il confie à Irène, traductrice et correctrice dans le domaine éditorial, le soin d’écrire son histoire, en quelque sorte une autobiographie par procuration.
Jeux d’écriture
L’intrigue se déplace de Paris à Rome, avec une parenthèse espagnole. Miguel Padilla renoue avec les plaisirs de la chair et du voyage, en même temps qu’il collabore à son propre roman dont le titre « Être », se lit à la fois comme un synonyme d’« exister » ou de « créature ». Tout l’enjeu du roman est l’art comme représentation de l’expression humaine par l’impulsion d’un créateur. Dans une combinaison d’échos, de parenthèses et de mise en abyme, René Belletto interroge l’écriture comme activité dangereuse, voire mortelle, à l’instar d’un Michel Leiris dans sa préface à « L’Âge d’homme », où le littérateur se rapproche du torero par une authenticité et une mise à nu qui le rendent vulnérable. Alors qu’aujourd’hui tout le monde veut écrire, reste la question du talent ; seul un élu aura son nom sur la couverture. Et encore, comment savoir si ce dernier est vraiment celui qu’il prétend être ? Entre personnage et auteur, romancier et lecteur, s’instaure un jeu de dupes auquel on se prête volontiers, entraîné dans un roman à tiroirs jubilatoire, extrêmement bien écrit et d’une maîtrise stupéfiante.