C’est un western, un vrai, imaginé par un auteur français, et une femme en plus. Il n’en fallait pas plus pour secouer la rentrée littéraire 2013. L’Amérique plaît, et on peut presque parler de mode, en remarquant au passage que cette mode paie : après Maylis de Kérangal, qui en 2010 avec « Naissance d’un pont » (Prix Médicis) nous offrait un « roman à l’américaine », selon les termes de son éditeur, après Joël Dicker et « La vérité sur l’affaire Harry Québert », Grand prix de l’Académie française l’an dernier, voici donc que Céline Minard s’y colle aussi, et s’attaque aux mythes fondateurs des Etats-Unis : l’éclosion, à partir du néant, d’une ville dans l’ouest sauvage. On ne sait pas encore si ce roman décrochera un de ces prix littéraires si convoités, mais, en tous cas, il fait déjà le buzz. Installons-nous, et plongeons dans l’Amérique selon Minard.
Dès les premières pages, nous voilà sur un chariot brinquebalant tiré par des bœufs, aux côtés de Brad, Josh et Jeffrey qui escortent une vieille grand-mère hurlant comme un coyote à chaque soubresaut. En chemin, une petite fille abandonnée se met à les suivre, alors ils la gardent avec eux. Ailleurs dans la plaine, avancent aussi Zeb, Gifford, Elie, hommes égarés ou déterminés, silencieux ou bavards, idéalistes ou pragmatiques, fragiles souvent, et leurs chemins à tous convergent sur un bourg qui n’a de bourg que le nom mais où ils vont se rencontrer. Autour d’une unique rue boueuse se dressent ici un saloon, quelques grandes tentes où on peut louer un lit de camp à la nuit, un barbier. Ces hommes arrivent là, cachant dans leurs souvenirs un passé plus ou moins dramatique que l’on va découvrir petit à petit, et ils arrivent avec un objectif : arrêter d’arpenter la prairie, se poser, et surtout s’organiser tous ensemble, créer un semblant de justice pour éviter de s’entretuer et trouver le moyen de se défendre des dangers extérieurs. En d’autres termes : construire une société.
Les femmes ne sont pas absentes de ce livre. Quelques figures mémorables surgissent au fil des pages et contribuent à l’ambiance survoltée du roman, notamment Sally, la tenancière du saloon, mère maquerelle gouailleuse qui tire au pistolet aussi bien qu’un cow-boy, ou Arcadia, la contrebassiste lesbienne.
Ces hommes et ces femmes dont on suit les aventures plutôt cocasses sont bien décidés à faire ce qu’ils peuvent et entre troc, arrangements à l’amiable, coups de sang et coups de main, la vie s’organise. Chacun regorge d’initiative et chacun contribuera au bien d’autrui, comme Zeb qui crée un établissement de bains ou Gifford qui met sur pied un service de courrier. Parmi eux, les Chinois trouvent leur place. Autour d’eux, les Indiens observent leur manège avec perplexité.
Alors c’est vrai : on retrouve son âme d’enfant quand on lit ce livre et on peut se laisser avec plaisir emporter au fil des pages dans les aventures palpitantes de ces cow-boys rugueux que Céline Minard campe avec brio. Loin du nombrilisme supposé de la littérature française, la romancière s’inscrit clairement dans une forme narrative en effet « à l’américaine », qui convient parfaitement aux grands espaces et aux coups de revolver. Mais est-ce suffisant ? Depuis quand l’art de reproduire une ambiance suffirait-il à faire de la littérature ? Céline Minard se livre à un exercice de style –faire un western. On peut estimer qu’elle l’a réussi. Oui mais : et alors ?
D’autant qu’en outre, on ne peut que regretter une vision un peu trop bon enfant de ce début de monde. Pas de morts brutales ni de viols dans ce roman, et pas d’injustice organisée en système, où l’unique objectif des uns serait de s’enrichir aux dépends des autres. Tous sont animés d’un bel esprit d’entreprise et respectueux d’autrui. Aussi, chacun trouve merveilleusement sa place dans le microcosme imaginé par la romancière, et la fortune sourit forcément à qui sait travailler. Une morale bien confortable qui peut quand même prêter à sourire.
On aurait pu penser qu’un auteur européen revisiterait le rêve américain, apporterait un éclairage nouveau, s’en saisirait pour faire entendre une voix singulière. Céline Minard a, au fond, simplement choisi de lui rendre hommage.