Funny Reich, Tome 2 : Le conditionnel automatique
Bruno Wajskop

Marque Belge
bord de l'eau
novembre 2015
127 p.  13 €
 
 
 
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coup de coeur

Une catastrophe naturelle, le Demodex, a éliminé les adultes de plus de 30 ans. Le monde est livré « clefs en main » à une jeunesse qui organise le refoulement, définit ses nouveaux ennemis (les Quand je pense) et ambitionne de fonder un Reich sympathique où l’interdit majeur est de se prendre la tête. Tel est le résumé sur le quatrième de couverture… Ce qu’il ne dit pas, c’est tout le reste et notamment dans quel monde ubuesque on est projeté ! Mais il n’y a pas que cela, il y a bien plus. Le lecteur commence d’abord par être totalement perdu, par ne rien comprendre du monde dans lequel l’auteur veut nous entraîner. Où a-t-on donc bien pu mettre les pieds. En tout cas, pas là où on a pied ! Et de se débattre et de s’agiter pour surnager. Jusqu’au moment où, enfin, tout se met en place dans le bon sens, dans le bon ordre pour donner au lecteur toutes les clefs nécessaires. Et alors là, ces deux romans prennent toute leur ampleur. L’auteur précise, toujours en quatrième de couverture, qu’ « un monde forcément sympathique est forcément épouvantable ». Et il a raison. Vous pouvez accoler tous les adjectifs de la terre, un Reich reste un Reich dans ce qu’il a de plus intrinsèquement dirigiste, de concentration des pouvoirs, d’exclusion des masses récalcitrantes, de maîtrise et de censure de la communication et de l’information, de normes imposées, de castes, etc…
Les deux romans de Bruno Wajskop sont intelligents, foisonnants de références, d’idées. Dans son monde, il n’y a pas que certains êtres humains qui sont des Ubermensch, tout est Uber : les voitures (Ubercar), les transports (Uberbahn), les logements (Uberloft)… tout ce qui est réservé à la classe dirigeante et à ses adeptes est Uber… tout ce qui pousse à réfléchir par soi-même doit être identifié, isolé : la dictature de la non-pensée est le terreau de cette néo-idéologie qui maintient la population dans une ignorance et un isolement maximum. Les sujets les plus enclins à remettre en question ce qu’on leur propose, au simple principe que « pour vivre heureux, il faut vivre sans se poser de questions », sont dangereux pour le système qui essaie de se mettre en place en douceur en façade et sournoisement et insidieusement en coulisse. On retrouve dans ces livres des slogans évocateurs comme « Struktur macht frei » ou « One Reich, one device » (le device étant une sorte de puce implantée dans le bras qui permet de faire plus ou moins de chose selon la programmation de la dite puce).
Le premier tome est centré autour du personnage d’Edito, personnage trouble dans le sens où il ne poursuit qu’un rêve, à savoir être le plus proche possible du pouvoir afin d’y participer activement, quand dans le même temps il est un des rares à se poser encore des questions, à réfléchir au-delà de son propre plaisir immédiat. Travers dans lequel, pour le coup, tombe Bonbon, rencontrée dans le premier tome et autour de laquelle tourne le deuxième tome : pour Bonbon, se rapprocher du pouvoir n’est qu’un moyen (le meilleur) pour assouvir ses propres besoins, ce n’est pas une fin en soi.
Vous l’aurez compris, ce « Funny Reich » est une agréable découverte de ce début d’année. Deux petits bémols toutefois : • il y a un peu trop d’anglicisme à mon goût, à telle enseigne que j’ai parfois eu l’impression de lire des passages écrits par Jean-Claude Van Damme… • si la fonction de l’impératif imparfait est plutôt bien expliquée dans le tome 1, la notion de conditionnel automatique aurait mérité à elle seule quelques pages « didactiques » supplémentaires Dernière précision : l’auteur a voulu cette série à la façon du célèbre « Poulpe » dont le personnage reste mais les auteurs changent. Autant dire qu’assumer la suite ne sera pas évident et on pourra dire de l’auteur qui s’y frottera « qu’il (ou elle) en a », tant par rapport au style de Bruno Wajskop que par rapport à l’histoire dont il faut prendre la suite !

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