« Gaspard ne croit en aucune des valeurs d’Ekolonnia. D’ailleurs, il ne croit en rien. Claudine n’est pas comme lui. Elle triche un peu, en rajoute, mais se soucie réellement du sort de la planète. La surpopulation et le réchauffement climatique sont de vrais sujets d’angoisse pour elle, et elle mise sur la décroissance, le contrôle des naissances, la macrobiotique, le retour aux joies simples, humaines, non matérielles, la solidarité et la vie communautaire pour les sauver du chaos. Tout est si tendu, si précaire. Elle ressent dans sa chair les limites du système actuel. Ça va exploser, tôt ou tard. Elle imagine des millions de gens dans la rue, ruinés et affamés, n’ayant plus rien à perdre. Il faut réagir. Maintenant. Après, il sera trop tard. Après, ce sera la guerre. Gaspard en rigole, dit qu’il sera mort avant. Elle aussi, peut-être. Ou pas. »
Collaspologue, Claudine ? Pas vraiment, en fait. À la tête d’Ekolonnia depuis quelques années, elle sent les rênes lui échapper et fait une sorte de bilan sur sa vie. Cinquante-trois ans, la dame, des hormones en guerre civile et un biographe dans les pattes. Parce que son organisation (sa boite, sa secte) décline, on lui demande de communiquer mieux, de faire de sa vie un exemple, d’attirer de nouveaux membres (adeptes, gogos). Mais Claudine n’a plus tellement envie de jouer, si ce n’est au jeu dangereux de la sincérité et de la franchise…
Paru en 2016, ce roman bien ficelé a donc du être écrit en 2015, et c’est saisissant de constater que tout y est déjà des troubles qui nous agitent en cette année 2019.
On y suit la prise de conscience d’une gourou(e), tardive et peu généreuse malgré tout (on ne se refait pas) et Murielle Renault a trouvé la bonne distance et le bon rythme pour nous faire avaler son roman d’une traite, avec des sentiments mêlés de fascination et de répulsion.