Si vous êtes angoissé(e) par ce mois d’août qui se fait la malle à grands pas, j’ai une solution ! Plongez-vous dans le merveilleux livre d’Anne Vallaeys : Hautes solitudes Sur les pas des transhumants. Je vous promets un VRAI voyage, une VRAIE route que vous allez suivre pas à pas en admirant le paysage et ce, sans souffrir (contrairement à l’auteur et sa coéquipière, Marie). La langue poétique, colorée, pleine d’images extraordinaires et de mots rares d’Anne (je l’appelle par son prénom, j’ai fait la route avec elle…) m’a transportée de joie. Tous vos sens seront en alerte !
J’ai dégusté un chapitre par jour de ce délicieux journal de voyage, une étape par jour pour moi aussi, sur les pas d’Anne et de Marie, observant les plantes, les fleurs, les pierres, les arbres, les bêtes et les gens…
Si vous saviez comme j’en ai goûté des couleurs et des parfums, comme j’en ai imaginé des paysages brûlant sous le soleil: explosion des sens… Je vous le disais : un beau voyage qui fera un pied de nez à votre mois d’août bientôt en berne.
Allez, on y va, vous me suivez ?
Le livre s’ouvre sur une carte : à l’extrême gauche, Arles. Puis : Aureille, Salon-de-Provence, Éguilles, Aix-en-Provence, Rians (attention, on remonte…), Vinon-sur-Verdon, Valensole (on n’est pas loin de Manosque – un salut à mon ami Giono), Digne-les-Bains (ça va toujours ? – coucou à Alexandra David-Néel, mon exploratrice préférée), on continue à grimper jusqu’au Laverq. Voilà le trajet que se sont proposé de faire Marie et Anne : marcher sur les pas des transhumants. Trois cent quatre-vingts kilomètres. Far la routo, dit-on en piémontais comme en provençal, marcher dans les anciennes carraires, les routes que les bergers suivaient avec leur bétail. « J’aime la rudesse roulée du mot carraire, les rugosités qu’il inspire, vent, ciel, dégagement, horizon. » confie Anne. La grande transhumance… Partir sur les traces des anciens…
Ils sont nombreux à regarder passer ces deux filles qui n’ont peur de rien, à les envier, à être tenté de tout lâcher pour faire un petit bout de chemin avec elles…
« Que sont devenues les carraires ? » s’interroge Anne, penchée sur ses cartes d’état-major, s’ « efforçant de décrypter l’improbable tissage de courbes, de maillages, de treillis hachurés ». Des chemins devenus « rébus intimes, minuscules ».
Pour les comprendre, les voir, il fallait « ressentir la trace sous les pas, éprouver la terre à mes pieds, la caresser des yeux, pour de vrai. » confie l’auteur, « donner forme, réalité, épaisseur, et continuité à la Grande transhumance… Lever l’ancre, hisser la voile. Simplement. Marcher aussi loin que possible, au rythme des heures puisqu’ici les kilomètres n’ont aucun sens. Emprunter un fil de crête, quand, d’un hasard l’autre, les éléments basculent, quand l’équilibre, le ciel l’imposent. Alpes, nourrices des Provences. Savourer cette orgie de lieux-dits, de mythes et de légendes. Puis, le reste, tout le reste. Teintes, couleurs, l’eau, l’air, les arbres… « Aller prendre la nature sur le fait », une recommandation de Darluc dans Histoire naturelle de Provence. »
Oh, je sens que je n’aurais pas grand-chose à ajouter pour que vous plongiez tête la première dans votre placard à godasses à la recherche de vos bonnes grosses grolles encore crottées…
Donc, voilà le projet des filles : « retrouver, identifier dans l’espace l’empreinte de la grande carraire d’antan . »
Autant vous dire que cette belle aventure ne s’improvise pas vraiment, qu’il faut rencontrer des « passionnés de grands chemins », ceux qui veulent « ressusciter la routo » et ils sont nombreux à la Maison de la Transhumance à arpenter de long en large les moindres parcelles de ces routes afin de dessiner le tracé de la Grande Carraire des Provences.
Et l’aventure commence : inénarrable… Il faut partir tôt (il fait très très chaud – du feu), marcher beaucoup beaucoup (et ça monte aussi beaucoup, beaucoup), ne pas se tromper de chemin, ne pas se perdre, ne pas craindre de franchir un domaine privé surveillé par des chiens pas forcément aimables, ne pas sursauter à la moindre petite bête (sans parler des plus grosses – chevreuils, sangliers, loups…), ne pas geindre parce qu’on a mal aux pieds, au dos, à la tête, parce qu’on n’y voit plus rien, qu’on a les doigts gonflés, qu’on ne peut plus mettre un pied devant l’autre… Et je vous passe les pluies, les orages (en montagne, hum, hum…) Tiens, vous avez rangé vos chaussures ?
Mais à côté de ça, la splendeur des paysages, et là, avec les mots d’Anne, vous les verrez encore plus beaux qu’ils ne sont ! Quelle écriture magique, magnifique, des mots comme sortis d’un chapeau de magicien : termes d’architecture, de géographie, d’histoire, noms de plantes et de fleurs… Je me suis régalée de mots rares aux sonorités évocatrices agrémentés de citations: ici Stevenson, là Whitman, de rencontres avec les gens du pays : Louis, Virginie, Sylvain, André, Gilbert, Jean-Claude, Geneviève, autour d’un petit vin et d’un fromage de chèvre : « Pas éleveur, berger ! lance Geneviève, « Éleveur, j’aime pas, ça fait trop élevage. Chez nous, on a toujours gardé à bâton planté, comme on dit dans le métier. Pas de clôture ! » et d’ajouter : « Les noms qu’on donne aux brebis, agnelles, agneaux, bessons, tardons, anouges, fèdes, arets, moutons, ces mots-là disent beaucoup plus… On doit surveiller l’estropiée qui s’écarte un peu trop, la berque qui a cassé ses dents dans les cailloux, la mère qui repousse son agneau. Soigner les malades, percer les gonflées, voilà tout un travail qu’il faut aimer . Ҫa n’est pas de l’élevage, mais de la connaissance. »
Ils sont devenus rares ces bergers, certains sont vieux. Le métier est difficile, il n’attire pas les jeunes… Magnifiques portraits d’hommes et de femmes…
Allez, encore un peu d’ailleurs, ça ne peut que nous faire du bien… et puis, comme dit Marie : « La marche conduit au paradis, pas vrai ? » « C’est sûr, lui répond un ami, mais faut avancer longtemps. »
On y va ?
(Chiche ?)
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