Il existe toujours un danger élevé en littérature, c’est de décrire un amour impossible sans tomber insensiblement dans les pires clichés ou les caricatures les plus outrancières .
Cet écueil, Monique Barbey l’évite, pour le plus grand bonheur des lecteurs de son récit intitulé : « Il n’y a qu’une façon d’aimer ». Monique Bierens de Haan, née Barbey est suisse ; elle a épousé un Hollandais dont elle aura cinq enfants .C’est une Genevoise, élevée dans les traditions, dans le culte de la culpabilité, du rigorisme du protestantisme calviniste qui a marqué de son empreinte la vie de cette cité. Cette femme est conquérante, souffre de la tutelle exercée par sa famille, à tel point que cette dernière lui impose d’épouser Barthold Bierens de Haan, son actuel époux.
Le récit n’est pas un roman, c’est l’exposition d’un journal tenu par Monique Barbey entre 1943 et 1948, découvert par son fils et édité par les soins de ce dernier.
En 1942, Monique Bierens de Haan s’engage dans l’Armée néerlandaise en exil aux côtés de son époux. Elle rencontre à Londres le général Koenig, héros de la France Libre et vainqueur de la bataille de Bir-Hakeim. Elle en tombe amoureuse et expose cette situation dans les lignes datées du 20 juillet 1944 : « C’est la foudre qui m’a frappée. Je suis clouée sur ce banc et mon cœur s’arrête de battre. Je ne bouge plus et retiens mon souffle, craignant d’avoir compris. Personne ne m’avait jamais dit ainsi qu’il m’aimait. »
L’embarras est grand pour Monique, le dilemme moral est à son comble .Tout est alors susceptible de contrarier la réalisation de cet amour fou, insensé : aimer un général, en pleine guerre, au cœur des cercles diplomatique et militaire, dans lesquels Monique et Pierre Koenig évoluent quotidiennement. Conscient de ces obstacles, Monique se console : elle n’est pas seule et y voit une confirmation de ses convictions : « Pourquoi nous sommes-nous rencontrés puisque nous devrions ne plus nous revoir ? Pourquoi ? Pour nous redonner à tous deux du courage et de la foi. J’en suis sûre. Foi en Dieu, foi en nous-mêmes, courage chaque jour renouvelé puisque nous ne sommes plus seuls. »
Le récit fourmille d’épisodes heureux, décevants, tragiques ; ce peuvent être des rendez-vous secrets dans les hôtels de Londres ou de Paris, des doutes sur leur relation –on n’ose parler de liaison tant le terme apparaît impropre -, des rebonds et fluctuations sur l’intensité de leurs espérances respectives. C’est pourtant le réalisme qui l’emporte .Au nom de la morale , de la fidélité ,à cause des impératifs d’une guerre , d’un pays à servir , la France , et d’une certaine idée de la morale chrétienne : « La solution , elle se trouve en nous , ou plutôt hors de nous , en Dieu . C’est la foi aveugle et l’espoir qui doivent nous guérir de nos pires détresses. »
Cette vision des choses véhiculée par la narratrice peut paraître désuète, irréaliste aux yeux d’un lecteur contemporain, habitué à plus de permissivité, de complaisance vis-vis d’une liberté de mœurs ; elle ne nous séduit pas moins à cause de la sincérité du ton, de la pertinence des interrogations et doutes évoqués dans ce journal décidément inclassable.