Envie de prendre le large ? Suivons Michel Jullien dans son escapade sur la Loire. Dans un récit sensoriel fragmenté, il raconte sa descente du fleuve depuis le pont d’Andrézieux en Auvergne-Rhône-Alpes jusqu’à Saint-Nazaire. Tout part de la gageure de trois quinquagénaires. Pendant vingt-six jours, l’auteur et ses deux amis vont parcourir à la rame 848 kilomètres dans une chaloupe baptisée « Nénette ». A bord, trois bancs : la vigie, le barreur et le rameur, trois places échangées à tour de rôle toutes les heures. De la source à l’embouchure, sur une eau tantôt ocre, verte ou grise, on regarde les arbres, les oiseaux, les falaises, les pêcheurs postés sur la berge, on écoute sa respiration, le bruit des rames, le chant nocturne et importun des grenouilles, on sent le fraîchin, la sueur, les champs moissonnés. Ce n’est pas du canotage paisible, il en résulte des courbatures, des cals plein les mains et des coups de soleil sur les pieds ; il faut être attentif au courant, aux ponts, aux troncs, aux objets flottants. Pendant presque un mois, les trois compères font l’expérience du silence, de l’effort, de l’ascèse, de la répétition des mêmes gestes sur une eau à la fois identique et changeante. Le voyage en barque est propice à la rêverie poétique, on y croise Jules Renard, Ramuz et Gracq, on vogue à hauteur d’homme et à ras de terre ; visions mélancoliques de carcasses de vélos ou de voitures prises dans les herbes, mystère des inscriptions sur les ponts, vision surréaliste d’une maison à moitié chue dans l’eau à cause de l’érosion. Si l’on se prend pour un géant dans quatorze centimètres d’eau, on devient lilliputien au milieu des pétroliers, et quand l’équipée arrive à quai, on voudrait juste que « la mer n’existe pas ». Dans une langue très belle, avec son ironie et son humour coutumiers, sa sensibilité à l’espace et au temps, l’auteur partage la poésie des ondes.