critique de "Koumiko", dernier livre de Anna Dubosc - onlalu
   
 
 
 
 

Koumiko
Anna Dubosc

Rue des promenades
la grande semeuse
avril 2016
204 p.  12 €
ebook avec DRM 4,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

J’ai la mémoire qui flanche…

« J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien… » Anna Dubosc ne nous rejoue la chanson chantée par Jeanne Moreau, mais raconte la lente décrépitude de sa mère, Koumiko Muraoka, poétesse. Elle note tout sur un carnet, histoire de ne pas oublier puis le retranscrit dans son livre. Est-ce pour mettre un « paravent » entre leurs deux désarrois qu’Anna note tout ce que sa mère dit et ou pour sauver la mémoire de sa mère ? Encore un livre sur le rapport mère-fille-maladie. Oui mais avec la plume d’Anna Dubosc, son écriture nerveuse, directe qui ne fait pas de ronds de jambe. Et puis, c’est sans compter Koumiko et son sacré caractère, son appartement musée-capharnaüm-poubelle, ses apartés. Pas facile de devenir la gardienne, la mère de sa propre mère. Les rapports se trouvent inversés, Anna doit surveiller Koumiko tout en lui laissant la liberté qui est source de sa vie. Koumiko devient la petite fille qui ne supporte pas la solitude. « Elle qui était tellement autarcique, elle ne supporte plus d’être seule ». Anna note tous les petits bonheurs de sa mère, comme les querelles « -Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je prends pas médicaments, idiote ! –Ben t’étonne pas de crever alors ! » Koumiko a du caractère, beaucoup de caractère et le sas de la civilité est parti en même temps que sa mémoire. « Je peux quasiment tout supporter, sa connerie, sa méchanceté. Son désespoir, non, ça me terrasse. Je préfère quand elle m’emmerde. Au moins ça fait diversion, ça brouille mon amour ». S’ensuit des dialogues picaresques. Malgré leurs querelles incessantes, je sens l’amour d’Anna pour sa mère. « Puis j’imagine le monde soudain vide d’elle. Non, impossible. Il faudrait qu’elle meure pour de faux, pas pour toujours » J’aime l’écriture simple et directe d’Anna Dubosc. J’aime sa façon de traiter son rapport mère-fille sans mièvrerie, sans cacher les aspérités, avec les petites joies, les grosses peines, la lourdeur des situations, bref de nous décrire la relation exacerbée avec sa mère « Mois je me farcis ma mère comme d’habitude » Un livre simple, vivant, gouailleur, humain. Une lecture tonique qui remet les pendules à l’heure.

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coup de coeur

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !

Anna Dubosc m‘avait déjà emmené très loin sur le dessin de ses routes tortueuses (ici). Elle nous plonge aujourd’hui dans une autre sorte de sinuosité savoir les circonvolutions de la mémoire, de la vieillesse et de l’amour familial. Anna Dubosc fait le pari risqué mais réussi d’écrire une auto-fiction en racontant la vieillesse de sa mère, Koumiko Muraoka, qui s’accompagne d’une dégénérescence génétique avec perte de mémoire. Le livre d’Anna Dubosc est tout à la fois un hommage à la femme, à la mère et à la poétesse qu’elle fut et un moyen de préserver par-delà l’oubli (et la mort) sa mémoire. J’ai bien conscience d’avoir l’impression de labourer l’esprit d’Anna Dubosc, de fouiller dans son être en écrivant ce billet mais j’espère le faire de façon aussi simple et aussi pure mais aussi directe et franche que ce qu’elle a fait vis-à-vis de sa mère dans son livre… Ce n’est qu’une manière pour moi de rendre hommage à la personne qu’elle est et au livre qu’elle a écrit. Koumiko est une âme en peine, en déshérence, née en Mandchourie, exilée en France, on sent que Koumiko n’a jamais vraiment trouvé sa place nulle part, sauf peut-être dans son pays natal. Ce déracinement perpétuel la pousse à vouloir investir les espaces qu’elle occupe en entassant tout et n’importe quoi parce que tout et n’importe quoi portent en eux des bribes d’elle-même. Anna Dubosc et sa sœur Zoé restent longtemps aveugles et sourdes au déclin psychologique de leur mère avant d’en prendre la mesure, de lui faire subir toute une batterie de test avant de consentir à la placer dans une maison de repos. Les deux sœurs empruntent le cheminement que tôt ou tard devra emprunter chaque enfant vis-à-vis de ses parents. Affronter leur déclin, c’est aussi affronter sa propre décrépitude à venir, sa propre fin inéluctable. Mais jamais, au grand jamais, Anna Dubsoc ne le fait avec impudeur ni exhibitionnisme ni pessimisme. En cela son livre n’est jamais triste. Il est constamment ambivalent parce qu’elle oscille entre amour déraisonné et aveuglant pour sa mère et parfois haine envers cette personne qui ne semble plus exister que pour elle, ignorant les autres, aux réactions paranoïaques. Cette dualité, présente aussi bien chez Anna Dubosc que chez Koumiko, reflète la complexité des rapports humains, entre haine et passion, entre rage et tendresse. Ces hésitations constantes se retrouvent aussi dans les termes employés par Anna Dubosc pour parler de sa mère : tantôt « Koumiko », tantôt « maman », tantôt « ma mère », Koumiko est bringuebalée d’un état maternel à un état plus distancié et presque immatériel, l’usage du prénom ayant pour troublante conséquence de rendre les contours de cette mère un peu irréels, un peu flous, comme si Anna Dubosc ne parlait pas de sa mère mais de toutes les mères. On ne sort pas indemne de ce portrait multifaces entre ombre et lumière. « Pourtant, c’était le bonheur aussi. Un bonheur qui ne dit pas son nom, jamais très loin du désespoir. »

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