Alors certes il y a une histoire dans ce livre mais ce n’est pas là que réside l’essentiel. Arthur Vega végète sans véritable panache dans la police française jusqu’au jour où son séjour à Vilnius lui offre l’occasion de s’emparer d’une affaire dans laquelle des traders français ont la fâcheuse manie d’aller se suicider à l’étranger. Voilà , ça c’est fait, on peut maintenant passer au plus important : le fond et la forme. Arthur Vega se lance à la poursuite du coupable, car il ne fait aucun doute que ces suicides n’en sont pas vraiment, comme on se lance à la poursuite d’une chimère, d’une sorte d’idéal féminin fantasmé, comme un auteur se lance à la recherche du livre parfait, du livre total, qui engloberait tous les styles et toutes les formes en même temps. Du coup, Thibaut Klotz alterne les chapitres consacrés à Arthur Vega, dans un style plutôt classique, épuré et carré sans être froid mais qui colle bien à son inexpérience en tant qu’enquêteur, et les chapitres consacrés à Jeanne/Jana/Virginie, personnage protéiforme dont on ne saisit que par bribes les origines et les motivations, dans un style beaucoup plus éthéré et onirique que celui utilisé pour Arthur Vega. A travers cet onirisme, parfois grandiloquent, et l’orientalisme affiché par LA femme (qui ressemble à s’y méprendre à LA femme de Sherlock Holmes : son alter ego impliquant qu’aucune relation n’est réellement possible, l’attirance se faisant contre nature) du roman, Thibaut Klotz se réfère ouvertement à l’univers de Théophile Gautier, allant jusqu’à utiliser une de ses nouvelles comme fil conducteur entre les victimes. Comme dans tous les chassés-croisés amoureux, Eros y croise forcément la route de Thanatos et l’imbroglio amoureux croise donc celui des meurtres dans un mélange de dédales dont les frontières sont particulièrement et volontairement floues. « L. » est un polar sans en être un, entaché de fantastique, un livre de quête avec des personnages aux contours volontairement flous (je sais, je l’ai déjà dit, mais ce n’est pas ma faute si c’est consubstantiel au livre) de la part de l’auteur comme s’il voulait que le lecteur se sente aspiré dans un rêve éveillé, celui-là même que font les personnages dont la fuite en avant ne peut avoir aucune réelle conclusion mais dont on peut toutefois tirer quelques morales que je vous laisserai découvrir si vous lisez ce livre ô combien déroutant mais ô combien enivrant !