Pourquoi je n’ai pas trop aimé « La Chance de leur vie », d’Agnès Desarthe
Attention, il ne s’agit pas d’une critique en bonne et due forme. Je ne couvre pas tous les aspects du roman. Il s’agit simplement d’une réflexion provoquée par la lecture de ce texte.
Pourquoi, donc ? À cause du personnage principal féminin. L’association de ces deux qualités n’est pas le problème, au contraire, c’est tant mieux. Mon problème, c’est la nature velléitaire, inconsistante et presque « nulle » de ce personnage.
Elle le dit elle-même, elle n’est rien. « Je ne compte pas, se dit-elle. »1 Sylvie est une femme de soixante ans, mariée et mère d’un fils de quatorze ans. Elle suit son mari professeur d’université aux États-Unis. Il a reçu une invitation d’une université mineure de Caroline du nord. L’apogée de sa carrière de philosophe et de poète. Elle ne travaille pas. Il rayonne et elle reste dans l’ombre.
« Je suis la femme d’Hector. Comment pourrait-elle expliquer au professeur Asmanantou que c’est là, dans cette aliénation, que se déploie sa liberté ? »
Se sentir libre parce que mariée. Si une femme peut ressentir ce sentiment aujourd’hui, c’est que notre société a encore un long chemin à parcourir pour l’égalité. Qu’est-ce que cela sous-entend d’une femme non-mariée ? Qu’elle n’est pas libre de faire ce qu’elle désire, tant qu’elle n’est pas assujettie à un homme ? Ce qui m’ennuie réellement dans tout ça, c’est de comprendre ce que Sylvie veut dire. De comprendre qu’une fois avoir accompli ce que la société attendait d’elle, à savoir se marier, s’établir, fonder une famille, elle se sent enfin libre de faire ce qu’elle veut. Libre de déployer d’autres envies, d’autres idées. Et c’est terrible. C’est terrible de comprendre, même si je ne suis pas d’accord, même si je ne pense pas la même chose.
Dans le cas de Sylvie, c’est peut-être aussi la liberté de ne rien faire. D’être « oisive », comme son mari l’aime. Car Hector, son mari, aime les femmes oisives. Celles qui ne font rien. Qui ont cette possibilité de se reposer, de faire de la poterie. Il n’attend rien de son épouse non plus, domestiquement parlant. Il range le lave-vaisselle, il la supplie de ne pas s’embêter à défaire les cartons. Elle a néanmoins « le droit » de ranger la vaisselle propre. Il l’infantilise. Il l’immobilise. Le seul encouragement, le seul conseil qu’il lui donne à leur arrivée aux États-Unis, c’est d’aller chercher des brochures à l’Alliance Française. Des brochures de quoi ? Pour quoi faire ? Ces brochures mèneront aux cours de poterie. Quoi de mieux qu’un cours de poterie, en français, pour une femme de soixante ans qui n’a jamais travaillé ?
Même son fils n’a plus besoin d’elle. Mis à part sa personnalité très farfelue et totalement improbable, il prie pour elle. Il s’inquiète pour sa mère, il l’observe, la console quand elle pleure. Je n’y crois pas une seule seconde. Mais bon, c’est une fiction. Ce n’est pas la réalité.
Quand Sylvie arrive dans la maison qu’ils occuperont pendant leur séjour aux États-Unis, sa première réaction concerne la moquette. Elle se dit qu’elle deviendra sa pire ennemie.
Là, petite pause. En tant que lectrice féminine d’une trentaine d’année, cette phrase anodine m’enrage. Je ne me suis jamais dit ça. Je n’ai jamais visité un appartement, une maison, en me faisant des réflexions sur la sueur que le ménage provoquera. Je n’ai jamais été une « bonne ménagère » et je ne souhaite pas le devenir. Le ménage est la plaie de mon existence. Et le point focal de l’égalité au sein de mon couple. Je ne lâcherai pas un souffle de plus que mon partenaire. Il faut que la sueur perle à égalité. Vous comprenez l’idée. Ce que j’aimerais, c’est savoir si cette petite phrase révolte aussi les lectrices plus âgées. Est-ce que les femmes de cette génération, vraiment, en sont toujours là ?
Cette phrase, au final, ce n’est pas grand chose. Ce n’est que le début d’un portrait qui empire au fil des pages. Car si Sylvie s’inquiète de la propreté de la moquette, elle ne s’inquiète pas de grand-chose d’autre. Qui est-elle ? Qu’aime-t-elle ? Elle ne sait pas. Elle n’a aucune confiance en elle et passe des heures à regarder la terre pendant son cours de poterie, sans rien en faire. Elle est paralysée par l’idée que les autres font mieux qu’elle, et par l’idée qu’elle n’arrive pas à se faire d’amis.
Au cours de poterie, lorsqu’une autre femme, Marilyne, lui parle des grands espaces américains, elle répond qu’elle aime l’odeur de la glycine. Lorsque la femme lui rétorque qu’elle n’avait jamais remarqué que la glycine avait une odeur, et lui indique son nom en anglais, Sylvie répond « magnifique ».
Et là, le narrateur conclut : « Elle se promet de ne plus jamais adresser la parole à Marilyne. » Je ne comprends pas pourquoi. Quel est le problème ? Elle répond un peu à côté, certes, n’a rien à ajouter à la conversation, mais c’est un début ! Comment une femme de soixante ans peut à ce point manquer de confiance ?
Je sais que c’est un personnage de fiction. Mais… Beaucoup de choses se bousculent dans ma tête. Toute une génération de jeunes femmes, fortes, féministes, est aux portes de l’âge adulte, du droit de vote. Après le mouvement me too, qui ne constitue par la découverte de ce que les femmes subissent, mais le début d’une rébellion systématique, notre sexe attend beaucoup. Et dans ma tête, une femme de soixante ans, c’est une femme qui a vécu. Qui connaît le monde, qui a développé une sensibilité accrue, une somme d’expériences, positives ou négatives, mais qui les a compilées et en a extrait le meilleur. Là, Agnès Desarthe me décrit l’antithèse de mon idéal. Une anti-héro. Était-ce son but ? Dans le roman, elle cite les personnages masculins de Philip Roth, de Romain Gary, dont « l’impudeur est réjouissante ». Ah bon ? J’aime Philip Roth, mais Alexander Portnoy est pour moi l’antonyme de la réjouissance. Son personnage me dégoûte. C’est anecdotique, et c’est un autre sujet, mais Romain Gary m’exaspère. L’auteure a-t-elle voulut créer le reflet féminin des personnages de Roth ? Dans le même paragraphe, elle se demande pourquoi cela n’existe pas, un personnage féminin dont on découvrirait l’intimité extrême, les vices et les plaisirs masturbatoires. Elle y oppose les règles, les montées de lait et l’avortement, entre autres. Elle utilise cette phrase, qui commence bien mais qui flanche lamentablement.
« la femme muette tentait de raconter une autre histoire, la sienne, qui paraissait n’intéresser personne, pas plus ses semblables, que les garçons dont on comprenait aisément la moue dégoûtée. »
« On comprenait aisément» la moue dégoûtée des garçons ? Mais qui est ce « on » ? Les femmes ? Mais alors je n’en suis pas une. Non seulement les règles, les montées de lait et l’avortement ne me dégoûtent pas, mais je ne comprends pas et n’admet pas qu’un homme ne puisse s’y intéresser. J’attends avec impatience le pendant féminin des personnages de Philip Roth. Mais une femme n’est pas que règles et montées de lait. Alors oui, il est important de faire comprendre à tous que les règles, les montées de lait et l’avortement ne sont pas des choses dégoûtantes. Je rêve d’un jour où les hommes proposeront spontanément un tampon à une collègue qui a ses règles. Où le sujet ne sera plus tabou. Une femme saigne chaque mois, remettez-vous. Mais ce n’est pas tout. Une femme n’est pas que ça. Elle aussi, a des vices et des plaisirs masturbatoires. Ce ne sont pas des caractéristiques masculines. Qui a dit ça ? Qui croit ça ? Décrire l’intimité malsaine d’une femme, ce serait parler des règles et des montées de lait ? La réduire à sa fonction reproductive, encore. C’est tellement réducteur. Tellement loin de la quintessence de ce qu’est une femme. Je rêve d’un personnage féminin qui, en plus de raconter la nature cyclique de son corps, de sa biologie, raconte ses vices et vous emmène dans la salle de bain, aux toilettes avec elle, comme l’a fait Roth avec Portnoy. Et vous verrez qu’il y a peu de différences. Mais les hommes sont-ils prêts ? Sommes-nous prêts à casser le mythe de la pureté féminine ?
L’auteure a-t-elle voulu créer cette réaction chez ses lecteurs ? Je ne sais pas. Mais je n’arrive pas à sympathiser avec cette Sylvie.
Certes, son mari la maintient dans une sorte d’apathie. Il l’aime comme ça. Et pour elle, cela paraît plus facile, plus simple de se laisser faire, en observant ces femmes qu’elle juge « modernes », s’user au travail, à l’éducation des enfants et au ménage. Elles font tout, ces femmes modernes. Ce n’est pas pour elle.
Et pourtant, quand son mari la trompe, il choisit précisément ces femmes-là. Ces mères célibataires qui travaillent et luttent, au quotidien, pour éduquer leurs enfants, continuer leur carrière et plaire aux hommes. En faisant du sport.
Mais il se lassera. Il aime les femmes oisives, rappelons-nous. Rien ne vaut l’immobilité de sa femme. Il revient vers elle, fait pénitence. Elle ne le gratifie même pas de sa jalousie. Elle est au dessus de ça. Encore un truc qui ne colle pas. « La jalousie est luxe », pense-t-elle. Un luxe de celles qui sont ? Celles qui existent ? À la fin, Sylvie émet une envie, un souhait. Elle veut être parfaitement elle, à travers « une action », ne plus s’accommoder et ne plus se définir autour de la personnalité de son mari.
Alors on pourrait se dire très bien. Ce séjour aux États-Unis lui a permis de réaliser, d’accoucher de son aliénation, de comprendre qu’elle voulait et devait être elle-même. Car son mari n’a pas hésité une seconde à être lui-même, en la trompant, en lui avouant, en attendant d’elle une réaction, une jalousie, puis un pardon.
Tout cela m’irrite. Comment un homme peut-il être aussi insouciant, égoïste ? Attendre de sa femme l’acceptation, la rédemption ? Et comment une femme peut-elle être aussi résignée ? Aussi accommodante, effacée ?
De qui est-ce la faute ? De son mari, qui la maintient dans cette espèce d’immobilisme paternaliste, ne l’encourage ni à pratiquer son anglais, ni à travailler, ni à exposer les poteries qu’elle finit par faire, car il les trouve « maladroites » ?
Ou est-ce de sa faute à elle, qui se laisse aller, ne se débat pas, n’entreprend pas ?
En tous les cas, ce roman a provoqué chez moi de nombreuses interrogations. Je ne sais pas quoi penser de Sylvie. Dois-je la plaindre ? Dois-je la mépriser ? Dans tous les cas, elle ne me laisse pas indifférente. Elle ne me plaît pas. Elle ne correspond pas à ce que j’attends d’une héroïne. Et c’était sans doute le souhait d’Agnès Desarthe. Je ne sais pas, ce n’est pas la question. Je me dis simplement qu’en ces temps de mutation, de changement, j’attends autre chose. J’attends une héroïne. Je suis fatiguée de ces femmes pas libres. De ce schéma rétrograde de la famille. Je voudrais lire et voir d’autres choses dans la littérature moderne, d’autres femmes plus complexes, plus libres. D’autres hommes moins égoïstes, moins inconscients de leurs privilèges.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Si vous avez lu ce livre, je serais curieuse d’avoir des retours.
Puissant, électrique, tragique ce huis-clos est une plongée dans une famille décalée, étrange et ne repose pas un seul instant le lecteur. Ce champ de vision est voulu par l’auteure Agnès Desarthe. Sans être un thriller qui colle aux doigts et attise le feu des angoisses, il laisse tout au long de la lecture cette impression de sueur froide. Cette ambiance rétrécie est la teneur de ce récit. On est à l’étroit et on ne peut s’échapper des entrailles de cette famille. Une seule solution, glisser comme l’auteure d’un protagoniste à un autre. Et là, le rythme monte crescendo, l’intérêt aussi. Cette famille et le kaléidoscope de non-dits, de faux-semblants, d’un conformisme qui voudrait que tout soit d’équerre. L’enfant Lester va être la balle dans un jeu de quilles et bousculer cette apparence lourde et fausse. Etrange, surdoué, ésotérique tout en étant un peu malsain Lester va renverser la table d’une quiétude bancale. Sylvie, la mère est effacée, soumise, mélancolique, une madame Bovary dans toute sa splendeur qui se meurt à petits feux. Dans ce départ forcé pour l’Amérique où Hector seul volontaire vient d’être nommé professeur dans une université de renom ; elle en paie le prix fort. Hector est le premier à changer de comportement. Il trompe sa femme à outrance, devient futile, méprisant, pervers narcissique. L’étau se referme. La proie accélère son action dévorante. Ce récit est bien mené. Pragmatique, constant, on respire le même air d’un bout à l’autre de la lecture. L’espace manque, c’est voulu et réussi. Le lecteur néanmoins étouffe. Que va-t-il se passer ? Cette famille, Radeau de la Méduse va-t-elle échouer ? Le roman poursuit ses dires et creuse les sillons d’une gloire perdue. Le lecteur assiste sans voyeurisme aucun aux séquences de ce dérapage sur le verglas des envergures abolies. Ce roman est une analyse psychologique d’une cellule familiale où chacun joue un rôle surfait et cache ses propres blessures. A lire quand tout va bien. Publié par Les Editions De l’Olivier « La chance de leur vie » est en lice pour Le Prix France Télévision Le Livre 2019 catégorie roman.
Hector Vickery, prof de fac, vient d’obtenir la mutation dont il rêvait depuis longtemps : il s’envole avec sa femme Sylvie et son fils Lester vers les États-Unis, direction Earl University en Caroline du Nord. Une nouvelle vie s’annonce pour la petite famille, loin d’une Europe encore sous le choc de l’attentat de Charlie Hebdo… Bref, prendre un peu de distance ne peut pas faire de mal…
« Ils allaient quitter la France, quitter Paris, les insolubles problèmes de stationnement, les visages moroses, les bousculades dans le métro, les minutes de silence. La peur d’un nouvel attentat islamiste. Le passage honteux de l’incrédulité au fatalisme. Ils abandonneraient le vieux pays fatigué et divisé pour une contrée neuve et pimpante. »
Hector va très vite s’adapter à son nouvel environnement, c’est le moins que l’on puisse dire… En revanche, Sylvie, personnage étonnant, partisane de la non-action, vit tout cela avec une certaine passivité, ce qui lui permet d’observer de loin tout le petit manège de la vie sociale à laquelle elle va, plutôt à contrecoeur, devoir participer. Quant à Lester qui s’est rebaptisé « Absalom Absalom » lorsqu’il survolait l’Atlantique, il va évoluer d’une façon pour le moins inattendue…
Une année donc où chacun d’eux va s’observer, observer les autres et tenter, peut-être, de comprendre ce qu’il est vraiment…
Quel délice que ce roman ! J’ai trouvé dans le personnage de Sylvie – dont le lecteur partage le point de vue – un mélange d’Oblomov et de Meursault, avec une petite touche d’absurde qui m’inviterait même à chercher du côté de Ionesco. En effet, cette femme, adepte du dogme du non-agir, ne fait rien ou pas grand-chose, mais attention, « cela n’est pas le signe d’une défaillance, d’une situation humiliante, mais d’une éthique, d’un choix de vie. », j’irais même plus loin en parlant d’art de vivre… Elle observe son fils, son mari, les gens. Et cette posture distante et immobile qu’elle adopte lui permet d’avoir un regard assez juste et très lucide sur le monde agité qui est le nôtre, un regard en tout cas qui sait dépasser les apparences…
Le jeu social, dont elle a l’impression de ne pas connaître les codes, la fatigue. La mode ne l’intéresse pas. Plaire n’est pas son souci. Sylvie, en société, n’est rien sinon la femme d’Hector ou la mère de Lester. Rien ou pas grand-chose : « Je ne suis rien » se répète-t-elle en silence et cette phrase « l’apaise, l’isole, la protège ». Mais, comme elle aimerait l’expliquer aux autres, « c’est là, dans cette aliénation, que se déploie sa liberté. » Elle est une femme libérée, mais pas dans le sens où on l’entend actuellement, non, elle est libérée parce qu’elle ne travaille pas, n’a ni amis ni relations et donc pas de jeu social auquel se plier. Elle est heureuse dans « une vie dégagée de tout lien, presque sans matérialité. » Agnès Desarthe n’est-elle pas en train de se demander si la femme moderne a pris ou non le bon chemin pour se libérer ? La question est posée en tout cas.
« Pas d’impatience chez toi, pas de volonté de prouver quoi que ce soit. C’est l’humilité première, primaire, le douloureux et nécessaire constat de l’incapacité » commente une de ses proches.
Il y a quelque chose de profondément vrai en elle, c’en est fascinant !
Alors, un peu désoeuvrée, sur les conseils de son mari, elle se rend à l’Alliance Française pour chercher « des brochures »…
Pendant ce temps, Lester, je veux dire Absalom Absalom, prie pour ses parents. A-t-il raison de les sentir en danger ? « Protégez-les de la violence du monde, de la tristesse. » Quelle belle lucidité là aussi !
La chance de leur vie est un roman très riche (les strates de lecture sont nombreuses) qui nous amène à réfléchir aux divers problèmes que rencontre notre société actuelle, en pleine mutation. Les thématiques abordées sont multiples : couple, fidélité, amour, place des femmes, sens de la vie, éducation, monde surconnecté, violence… mille questionnements ou pistes de lecture qui peuvent donner lieu à plusieurs interprétations possibles… N’est-ce pas là le signe d’un livre riche, profond, (et en même temps si drôle, j’ai omis de le dire!) sur lequel on pourrait discuter bien des heures ?
Et surtout, il présente des personnages complexes, un brin hermétiques, plutôt attachants et bien décalés… comme on les aime !
Un roman qui restera, c’est certain !
Sylvie et Hector ont la soixantaine, un fils adolescent qu’ils ont eu tard. On prend souvent Sylvie pour sa grand-mère. Elle laisse dire. Elle laisse passer beaucoup de choses, sans en concevoir une quelconque amertume. Elle est différente, Sylvie. Oisive, elle plane, un peu. Elle se tient juste au-dessus de tout un tas de choses, observatrice détachée qui aimerait trouver ce qui lui donnerait un sentiment d’appartenance, de connivence. Hector c’est autre chose. Autre milieu social, professeur d’université. Et puis leur fils, Lester. D’une intelligence aigüe et précoce, il traverse une crise mystique. En secret. Les voici tous trois aux Etats-unis pour quelques mois, et rien ne va plus…
Que voici un étrange roman.
Malgré les apparences, l’amour qui unit ces trois êtres est puissant, et donne un relief particulier à leurs interrogations. Quasi hypnotique, la plume d’Agnès Desarthe a quelque chose de dérangeant, parce qu’en nous racontant une histoire déroutante elle vient de temps à autre nous y rattacher par de petits détails, qui, on le sait bien, ont la plus grande importance.
Il est tout de même difficile de cerner les personnages, ils sont rétifs à toute catégorisation et c’est perturbant, tout autant que puissamment intéressant. L’ambiance générale dégage un parfum de mélancolie assez commnunicatif.
Se situant au moment de l’attentat du Bataclan, vu depuis une Amérique qui n’avait pas encore élu Trump (qui se révèle beaucoup plus exotique que ce qu’on croyait en savoir), le roman nous offre une perspective différente, sur la vie en général.
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« (…) sans le vouloir, elle avait laissé traîner son regard trop longtemps sur les souliers d’Hector. C’était une paire qu’il possédait depuis longtemps, presque une quinzaine d’années, et qu’il se refusait à jeter. Elles dessinaient avec une précision quasi morbide la forme de ses pieds, en particulier à l’endroit des oignons, comme des embauchoirs ectoplasmiques. Chaque fois qu’il les enfilait, il poussait un soupir de satisfaction : elles étaient tellement plus confortables que les autres ! Sylvie n’aimait pas ces chaussures, une bonne marque pourtant, anglaise, increvable, mais lorsque Hector les avait aux pieds, il perdait quelque chose de son élégance, de sa jeunesse. Il semblait vieux et borné. Je suis comme ces chaussures, s’était-elle dit. Je ne contrarie rien chez lui, mais je ne le mets pas à son avantage. »