Une femme, Suzanne, s’occupe de sa mère mourante. Jour après jour, elle prend soin d’elle, la regarde, observe sa faiblesse grandissante et les menus changements de son état physique. Jour après jour, elle retourne à sa table de travail et écrit. Encouragée par sa mère, elle raconte ce huis-clos étrange et se souvient de leur vie à toutes deux, entièrement déterminée par la personnalité radicale de cette femme qui s’éteint. La mère était romancière, Suzanne adulte l’est devenue à son tour. Peut-être pas par choix ni par vocation, mais parce que c’était le seul moyen d’exister auprès de cette mère flamboyante mais distante, entièrement habitée par son art. Et Suzanne se dit que l’écriture a étouffé sa propre vie et sa propre personnalité, comme un héritage devenu trop lourd à porter.
Plutôt que de mettre en scène un affrontement, Yasmine Ghata porte un doux regard sur les liens complexes tissés entre une mère et sa fille. Doux mais lucide. Suzanne s’interroge pour la première fois sur la vie de sa mère, sur ses choix et son parcours. Elle tente de s’approprier les souvenirs du petit village de la montagne libanaise où la mère est née. Que s’est-il joué là-bas qui aurait rejailli sur sa propre existence ? Et qu’attend d’elle aujourd’hui cette mère qui se meurt ? Suzanne s’interroge sur ce que sera le monde lorsque sa mère ne sera plus là pour l’écrire, mais devine aussi que sa disparition lui accordera, enfin, la liberté d’être elle-même.
Yasmine Ghata, fille de la poétesse et romancière Vénus Khoury-Ghata, continue donc son travail autobiographique digne d’une dentelière, commencé avec en 2004 avec « La nuit des calligraphes », poursuivi avec « Le târ de mon père » et « Muettes ». Un travail tout entier porté par une interrogation sur l’hérédité et la transmission, mais son écriture ici s’approche toujours plus de l’indicible, de l’intime, et son texte est extrêmement touchant