Que ceux qui ignorent qui est Gil Scott-Heron, créateur d’un tube mythique (sans être forcément réaliste) des années 70, « The Revolution will not be televised », se rassurent. Il n’est nul besoin de connaître l’œuvre romanesque, poétique et musicale de cet Américain pour se délecter pleinement de la fiction d’Abdourahman A. Waberi. Gil, alias Sammy l’enchanteur, est le héros de ce texte qui nous invite à redécouvrir le « Bob Dylan noir » par la voix d’un…chat. Pas n’importe quel chat, un félin soufi, rouquin qui trainait le pavé de Harlem et accompagna le musicien jusqu’à son dernier souffle.
« Tout comme lui, j’ai le poil hirsute, l’imagination créatrice et la peau sur les os » annonce d’emblée le chat aux sept vies, ancien ange-gardien de Malwlânâ, maître soufi d’une autre époque. « Il y a le connu baignant dans la clarté de midi. Il y a aussi l’inconnu tapi au plus profond, que ce soit à l’intérieur comme à l’extérieur de nous. Et entre les deux mondes, il y a plusieurs portes, poursuit notre chat narrateur, évoquant ici la fée musique penchée sur le berceau de Sammy, là sa vie de chaton débutant dans Manhattan. Les amoureux des félins se régaleront de sa rencontre avec Chacha (boule d’instinct, abyssine, orpheline comme lui), les fans de musique feront plus ample connaissance avec un artiste bouillonnant. Tout en tension. « Un feu intérieur brûle constamment en lui. Il est toujours en colère (…) » évoque encore son compagnon à quatre pattes. Sammy-Gil est de ces héros incandescents qui brûlent d’un feu sacré finissant par les consumer irrémédiablement. Le tour de force de Waberi est de nous passionner de bout en bout. Son interprétation d’une vie à hauteur de chat, alternant poésie et philosophie, est saisissante. On se surprend à vouloir souligner des phrases à tout bout de chapitre : « Le jour est la main droite de l’univers, la nuit sa main gauche (…) » , »la vie était agréable avant l’arrivée des mangeurs d’âmes »