C’est sur l’adolescence, le moment de la vie le plus hésitant et le plus éclatant à la fois, que s’est penchée Emmanuelle Richard dans « La Légèreté », son premier roman.
Elle a quatorze ans et demi, elle n’a jamais embrassé de garçon sur la bouche. Elle a des jambes d’allumettes et se trouve laide, elle voudrait être populaire. Cet été-là, ses parents l’emmènent, son petit frère et elle, à l’Île de Ré, repère des bourgeois bien habillés et bien élevés. Elle se dit que leur place serait au camping et non pas dans une location du très chic village des Portes en Ré. Elle se dit aussi que quelque chose doit arriver pendant ces vacances – n’importe quoi – quelque chose qui la fasse vivre. Quelque chose qui lui fasse dire que sa vie est différente de celle, vide et ennuyeuse, de ses parents. Alors elle attend. Elle attend, elle attend. Elle traîne sur la place du village en observant les jolies filles aux robes légères rire à gorge déployée au milieu des garçons. Elle se baigne dans la mer et va au cirque. Elle tue le temps en se promenant et en pensant qu’elle aimerait faire l’amour. Elle envie les jeunes qu’elle croise dans les rues, elle voudrait, elle aussi, monter à trois sur un vélo. Elle voudrait furieusement être eux. En filigrane, une pensée la hante, celle d’Antoine, un camarade de classe à qui elle n’avait jamais parlé, qui s’est jeté du pont de Normandie pendant l’année scolaire. Elle se demande pourquoi il a fait ça. Peut-être que c’est la solution, sauter pour échapper à cette vie de con.
« La Légèreté » est un roman pesant. L’attente bouillonnante et destructrice de la jeune fille crée une tension palpable. Emmanuelle Richard retranscrit à merveille les angoisses de l’adolescence. La honte de ses parents, la peur d’être différent, le dégoût de son corps et paradoxalement l’éveil de la sexualité. D’une écriture coulante et anarchique, qui se moque des traditions, où les majuscules s’invitent derrière les virgules et où deux mêmes mots peuvent se retrouver côte à côte, l’auteure exprime l’urgence et la colère de la gamine. Mais derrière cette croûte mélancolique, le ciel n’est pas si lourd. Peut-être est-ce cela le temps de l’adolescence, un temps où l’on imagine que tout est tragique, mais qu’en fait rien ne l’est, où l’on est en réalité davantage insouciant que grave.
Emmanuelle Richard signe un roman enivrant et cruellement vrai sur l’adolescence, qui frappe à la porte de nos propres souvenirs.