Joy Sorman a choisi de revenir avec ce livre sur le thème des relations entre l’homme et l’animal, thème déjà abordé, d’une façon bien différente dans un précédent roman : Comme une bête. Elle nous replonge dans un univers très étrange, qui lui est très personnel et qui dérange aussi quelque peu, mais n’est-ce pas une des plus belles fonctions de la littérature que de nous bousculer et de réveiller ce qui dort en nous ?
Il pourrait s’agir d’un conte. En tous cas l’histoire de cette créature hybride incroyable, née des amours contraintes d’une femme avec un ours, est racontée comme une histoire fantastique, de celles qu’on aime entendre en vacances à la montagne, à la veillée devant le feu. A travers le destin cruel de ce personnage original, l’auteure nous interroge sur nos rapports avec les bêtes et la servitude que nous leur imposons. Quelle est la part d’animalité qui est en nous ? Sommes-nous capables de voir en quoi les animaux nous ressemblent et se différencient de nous ?
Nous acceptons comme une évidence l’évocation de » l’ancienne alliance entre les ours et les femmes « , peut-être parce qu’il y a quelque chose de semblable dans leurs destins mais aussi parce que nous gardons cette sensation de lire un conte jusqu’à la fin du roman, même si la forme change sensiblement après la présentation du début, l’auteure sait nous faire entrer dans son univers et accepter tout ce qui s’y présente. Les femmes, en effet, sont les seules créatures avec lesquelles, cet être mi-ours mi-homme peut tisser quelques liens affectifs. Il y parvient surtout avec ses compagnes d’infortune, ces femmes qui se produisent comme lui dans un cirque afin d’exhiber leurs différences.
La différence ! Elle est là et c’est cette différence que revendique la créature hybride, il voudrait que la sienne soit vue et reconnue. C’est bien elle, la différence, qui toujours fascine et faisait autrefois le succès des foires et des cabinets de curiosités. Aujourd’hui elle fait encore celui de ces émissions de télévision, produites par de modernes montreurs de monstres qui ont abandonné les frères siamois, les géants, les nains et les femmes à barbe pour donner en spectacle d’autres formes de souffrance : le défilé des anorexiques, des victimes de troubles obsessionnels compulsifs, des agoraphobes, des jaloux pathologiques ou celui des stars de la téléréalité, encagées et examinées comme les créatures d’antan.
En lisant ce roman, nous ne pouvons que songer que le public, aujourd’hui comme hier, se rassure en observant ses frères humains ou animaux : il s’exclame, il pouffe et se réjouit de sa triste normalité. Notre regard porté sur les autres créatures vivantes reste souvent superficiel et engourdi. Il est critique, conditionné, asservi lui aussi. Il est surtout dépourvu de tout amour, de cet amour qui, lorsqu’il est là, ouvre les yeux et permet de découvrir la merveilleuse nature unique de chaque créature vivante. Comme tous les contes, ce roman atypique (il se devait de l’être pour traiter ce thème) nous donne une belle leçon d’éthique.