La peau de l'ours
Joy Sorman

Gallimard
août 2014
160 p.  16,50 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

J’ai découvert Joy Sorman avec « Comme une bête » où elle fouillait l’animalité de l’homme, son rapport à l’animal par le biais du conte. Avec La peau de l’ours, je retrouve la plume puissante et évocatrice de l’auteur J’ai eu une pensée pour « L’homme qui savait la langue des serpents » où les femmes de la forêt tombent sous le charme des ours. Là, un ours a rompu le pacte en enlevant et en retenant prisonnière Suzanne la plus belle jeune fille du village. Lorsqu’elle est retrouvée, 3 ans plus tard, crottée avec un marmot mi-ours, mi-homme accroché à ses jambes, Suzanne n’a aucun amour à attendre des villageois et, surtout de sa famille. Elle est expédiée, pire que pécheresse « Une folle doublée d’une sorcière qui a couché avec un ours, une créature du diable enchaînée à ses instincts les plus vils, une déréglée sexuelle qui copule avec les bêtes et pervertit la marche du monde » dans un couvent et son rejeton « De moi on ne sait que faire, on n’a pas le cœur de me tuer » vendu à un montreur d’ours. Odyssée ponctuée de plusieurs propriétaires, de lumières et de spectacles… pour finir dans un zoo. Avec La peau de l’ours, nous sommes dans le corps et le cerveau de ce mi-homme mi-ours. Il est vu comme un ours, intelligent certes, mais un animal alors que lui se sent, par ses propres réflexions, ses actes réfléchis plus humain. De plus, il marche principalement sur ses pattes arrières. Joy Sorman questionne l’humain qui est dans l’animal et la bête qui est en nous. Issus du même règne, nous sommes si éloignés que toute réconciliation est vouée à l’échec. Cet ours en est l’illustration puisque monstre et classé dans les animaux. « La peau de l’ours » questionne sur la condition de l’homme, en même temps que sur celle de l’animal. D’un côté les hommes, comme ces visiteurs du zoo, « qui se demandent en observant l’ours ce qu’ils ont gagné en s’éloignant de l’ours, ou du singe, ou au contraire ce qu’ils ont perdu ». De l’autre l’animal, puissant mais toujours condamné à lui être soumis. Qu’est-ce qui fait de nous des hommes ? Que reste-t-il en nous de l’animal ? Qu’est ce qu’un « monstre » ? J’ai aimé l’écriture nerveuse, imagée, charnelle, charpentée que j’avais découverte dans « Comme une bête ». J’ai lu ce livre-conte philosophique avec un très grand plaisir. Joy Sorman, je vous donne rendez-vous au prochain livre.

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Cet ours qui est en nous

Joy Sorman a choisi de revenir avec ce livre sur le thème des relations entre l’homme et l’animal, thème déjà abordé, d’une façon bien différente dans un précédent roman : Comme une bête. Elle nous replonge dans un univers très étrange, qui lui est très personnel et qui dérange aussi quelque peu, mais n’est-ce pas une des plus belles fonctions de la littérature que de nous bousculer et de réveiller ce qui dort en nous ?

Il pourrait s’agir d’un conte. En tous cas l’histoire de cette créature hybride incroyable, née des amours contraintes d’une femme avec un ours, est racontée comme une histoire fantastique, de celles qu’on aime entendre en vacances à la montagne, à la veillée devant le feu. A travers le destin cruel de ce personnage original, l’auteure nous interroge sur nos rapports avec les bêtes et la servitude que nous leur imposons. Quelle est la part d’animalité qui est en nous ? Sommes-nous capables de voir en quoi les animaux nous ressemblent et se différencient de nous ?

Nous acceptons comme une évidence l’évocation de  » l’ancienne alliance entre les ours et les femmes « , peut-être parce qu’il y a quelque chose de semblable dans leurs destins mais aussi parce que nous gardons cette sensation de lire un conte jusqu’à la fin du roman, même si la forme change sensiblement après la présentation du début, l’auteure sait nous faire entrer dans son univers et accepter tout ce qui s’y présente. Les femmes, en effet, sont les seules créatures avec lesquelles, cet être mi-ours mi-homme peut tisser quelques liens affectifs. Il y parvient surtout avec ses compagnes d’infortune, ces femmes qui se produisent comme lui dans un cirque afin d’exhiber leurs différences.

La différence ! Elle est là et c’est cette différence que revendique la créature hybride, il voudrait que la sienne soit vue et reconnue. C’est bien elle, la différence, qui toujours fascine et faisait autrefois le succès des foires et des cabinets de curiosités. Aujourd’hui elle fait encore celui de ces émissions de télévision, produites par de modernes montreurs de monstres qui ont abandonné les frères siamois, les géants, les nains et les femmes à barbe pour donner en spectacle d’autres formes de souffrance : le défilé des anorexiques, des victimes de troubles obsessionnels compulsifs, des agoraphobes, des jaloux pathologiques ou celui des stars de la téléréalité, encagées et examinées comme les créatures d’antan.

En lisant ce roman, nous ne pouvons que songer que le public, aujourd’hui comme hier, se rassure en observant ses frères humains ou animaux : il s’exclame, il pouffe et se réjouit de sa triste normalité. Notre regard porté sur les autres créatures vivantes reste souvent superficiel et engourdi. Il est critique, conditionné, asservi lui aussi. Il est surtout dépourvu de tout amour, de cet amour qui, lorsqu’il est là, ouvre les yeux et permet de découvrir la merveilleuse nature unique de chaque créature vivante. Comme tous les contes, ce roman atypique (il se devait de l’être pour traiter ce thème) nous donne une belle leçon d’éthique.

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